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Et si l’effondrement avait déjà eu lieu

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Et si l’effondrement avait déjà eu lieu
L’étrange défaite de nos croyances
Les Liens qui Libèrent (LLL)
01/03/2020

            Roland Gori dans son dernier ouvrage  Et si l’effondrement avait déjà eu lieu. L’étrange défaite de nos croyances  sorti au printemps dernier, soutient que l’ effondrement  ne serait plus à craindre parce  qu’il a déjà eu lieu dans la réalité spirituelle et symbolique qui nous permet de donner un sens et une cohérence aux évènements du monde.  Sa manière d’attraper cette thématique permet de renverser un discours commun qui touche à une forme de catastrophisme inhibant à toute créativité et propose une ouverture qui aide à penser.

    Considérer ainsi la catastrophe comme la révélation d’un symptôme contribue à interroger notre propre préoccupation à la  participation politique que chaque sujet a à faire reconnaître dans l’espace public . Le vide du politique contemporain révèle que  c’est le propre de la démocratie que de s’appuyer sur l’indétermination, l’imprévisible, l’incertitude, et même l’inquiétude  créant ainsi un espace qui permet l’élaboration, la pensée, l’invention, et non la totalité d’un savoir présumé qui promet la vérité.   

    Après son précédent ouvrage  La nudité du pouvoir  où une analyse de la politique actuelle met à jour l’inconsistance des investissements gouvernementaux pour soutenir la pérennité du lien social dans la cité, un pas supplémentaire permet par ce nouvel ouvrage de développer une réflexion des enjeux sociétaux actuels grâce notamment à l’éclairage qu’offre la psychanalyse. L’auteur soutient dans le creux du livre un autre  effondrement , celui de la consistance des savoirs contemporains, qu’on ne peut séparer des effets de rencontres entre le capitalisme et le champ de la politique.

    En se référant comme à son habitude à de nombreuses sources solides, Roland Gori soutient qu’un  effondrement a déjà eu lieu  mais que le sujet n’a pas pu se laisser traverser par une expérience permettant de le symboliser. En proposant l’analogie avec un concept de Winnicott sur  la crainte de l’effondrement  l’auteur analyse ce moment sociétal et subjectif en faisant apparaître la nécessité de révéler le surgissement d’évènements historiques refoulés qui recouvrent le fait que  nous ne faisons que projeter dans l’avenir un effondrement actuel.  Ce mécanisme de défense empêche de se représenter le traumatisme dont il y a à craindre les effets psychiques d’après-coup. D’où la tentative d’un  appui symbolique et culturel qui s’avère nécessaire pour supporter l’effet de trou culturel  dû au trauma.

    Il est important de souligner qu’au moment même où ce manuscrit s’apprête à être envoyé chez l’éditeur au mois de mars dernier, la crise sanitaire apparaît et met à jour les effets délétères des décisions politiques de ces dernières années qui ont  massacré les dispositifs de santé ayant fait prévaloir l’économie financiarisée sur l’humain.  Un des points que Roland Gori met précisément au travail depuis de nombreuses années, notamment depuis la création de l’association  Appel des appels  en 2008.

    Avec son style éclairant et tranchant il remet à jour nombre de penseurs essentiels pour la compréhension de notre temps avec notamment Freud, Lacan, Arendt, Benjamin, Camus, Foucault, Cioran, articulés avec d’autres plus contemporains, permettant de consolider avec consistance une assise réflexive pour aller au-delà d’une critique du monde actuel par ce croisement des champs de la philosophie, de la politique et de la psychanalyse. Ce savoir épistémologique s’oppose à l'affaissement de l’armature de la pensée pour  œuvrer  d’une position engagée face aux dérives actuelles du monde médiatique et politique qui détient le choix et l’orientation de la circulation de l’information. Il est intéressant de souligner que cet ouvrage s’inscrit dans un parcours d’écriture que l’on pourrait qualifier d’ oeuvrier . Une œuvre qui se dessine au travers d’ouvrages qui proposent des élans vifs et lumineux tant sur le terrain de la pratique que de l’éthique et de la politique.

   Ce livre se décompose essentiellement en trois séquences. Tout d’abord par l’analyse des causes historiques de cet « effondrement » afin de démontrer en quoi elles proviennent d’une  crise  du néolibéralisme et de ses effets dans le lien social. Cette analyse propose ensuite de penser autrement le  temps  que nous vivons pour nous amener à enfin soutenir la proposition d’une réinvention du  présent . Cette élaboration décale toute pensée s’afférant à la nostalgie et au catastrophisme, tout deux très présents au sein d’une littérature aussi vaste que foisonnante en la matière dite collapsologique. Ce décalage proposé par l’auteur veut ainsi dépasser une critique des enjeux sociétaux économiques actuels et leurs incidences écologiques. Non que ce ne soit pas à prendre très au sérieux, bien au contraire, mais un angle alarmiste ne peut suffire lorsqu’on oublie les conséquences de propagation d’un tel  discours sur l’effondrement qui hantent la communication politique . La référence au  discours  et à ses effets par l’appréciation de la psychanalyse permet de proposer un autre abord que celui de la dénonciation qui a le plus souvent pour effet de participer à ce qu’elle révoque en donnant existence aux procédés qu’elle relève. La pratique de la psychanalyse et ses repérages théoriques peut nous permettre de se saisir d’une visée subversive pour proposer des signifiants nouveaux au sein des champs où elle n’est pas une référence évidente. Entre psychisme et histoire s’inscrit la métaphore de la traversée subjective des événements dans leur structuration pour en faire une analogie prudente mais créative entre sujet et société. Nous ne dirons pas que l’époque fait le sujet, mais plutôt que le sujet fait l’époque, et c’est certainement à cet endroit qu’une marge de manœuvre politique trouve encore sa place. De nos jours, la conquête de la  vérité  prévaut comme objet de recherche incessant dans tous ces champs. En psychanalyse, c’est une quête nécessaire pour tout sujet, mais elle y est associée à une modestie essentielle parce qu’elle en supporte son  impossible .

    Roland Gori décrit notre époque comme celle qui  n’en finit pas de rêver son enfance , une redoutable nostalgie qui prend le pas sur une rêverie nécessaire qui permet de raviver le désir de démocratie et d’égalité. La perte qu’implique les désillusions de l’avancé d’un travail analytique resitue l’ épistémè  comme le support d’une recherche infinie. Nous pouvons citer ici ce que Roland Gori propose comme lecture de Benjamin par le cheminement de l’enfant en recherche d’apprentissage et son  caractère essentiel de l’inutile , là où  l’humanité, dans ses tentatives d’invention, envisage, à côté de buts accessibles, d’autres qui ne sont qu’utopiques à l’image de l’enfant qui apprend à saisir, qui tend la main vers la lune comme une balle à sa portée . Il nous précise que pour cet enfant  le geste n’est pas vain malgré les apparences, parce qu’il nourrit un élan de la main, du coeur et de l’esprit. Que serait un enfant parfaitement adapté à sa tâche ? Serait-il encore un enfant ? N’aurait-il pas perdu la naïve joie d’exister ?  Ainsi, l’importance  de la rêverie, de l’imagination, de la fiction et de l’histoire  dénote la quête subjective comme une production de savoir que la conquête de la vérité risque de fossoyer.

   Le pas supplémentaire que les derniers ouvrages de Roland Gori soutiennent permet d’élaborer l’actualité de la réalité psychique, autrement dit, une forme de fantasme généralisée favorisant plus ou moins directement la poursuite de l’organisation néolibérale et ce, probablement, pas sans incidences sur les difficultés à créer un mouvement social collectif qui bornerait les dérives politiques contemporaines. Ainsi,  ce que l’autorité ne trouvait plus dans la transcendance, il fallait bien qu’elle le cherche dans les sciences . L’impuissance d’une idéologie cherche à s’inspirer d’une seconde : Une politique contemporaine vouée au scientisme, dont la période que nous traversons en est le témoin.

    En se référant une nouvelle fois à Benjamin, Roland Gori souligne que le capitalisme est en tant que tel un système déjà effondré au sein de sa propre  épistémè . Cette forme de  crise  actuelle du capitalisme ne peut permettre pour autant de relativiser sa force, attendre que ce système se consume ne suffit pas. Ramener le sens de  crise  - souvent utilisé pour recouvrir une question de fond - à sa source originelle et historique permet de replacer le dynamisme du choix et du  moment de décision  dont nous sommes responsables en tant que sujet et citoyen. Ne pas se laisser détourner du passé, et ainsi se baser sur que les fondations de notre civilisation offre comme germe d’invention pour s’en inspirer. Penser la critique des  discours sur l’effondrement  resitue la solidité d’une analyse qui permet de mettre en avant que  consommer devient le symptôme d’une foi vacillante face à la criante du vide, du non-sens, du non-être de notre existence. L’invention de la psychanalyse s’est fondée sur le lit d’un malaise de la civilisation. Sans avancer que l’histoire se répète, elle peut néanmoins continuer sans cesse à nous enseigner. Le  passé des luttes  est tombé dans un refoulement surprenant, dont on peut vivre les effractions de retours à tout moment. Il s’avère ainsi que changer le rapport au temps, le réinvestir de ce qu’il contient de consistance historique, participent à sublimer cet effort de mémoire.

    Ce travail épistémologique aide à dépasser l’analyse d’un modèle économique qui concourt à ce que toutes les dégradations sociales actuelles se poursuivent, et propose un surpassement qui souffle sur les quelques braises encore allumées des sensibilités tenant aux fondements du collectif et de l’institution du lien social nous menant vers  un surgissement toujours imprévisible des possibilités qu’offre le présent.  Roland Gori relève les techniques de verbiage de la dite communication par un travail poussé sur la langue afin d’en déchiffrer son rapport à la modernité et ses procédés. Nous pouvons là citer Arendt lorsqu’elle parle de Benjamin comme le pêcheur de perles :  Toute époque pour laquelle son propre passé est devenu problématique à un degré tel que le nôtre, doit se heurter finalement au phénomène de la langue : car dans la langue ce qui est passé a son assise indéracinable, et c’est sur la langue que viennent échouer toutes les tentatives de se débarrasser définitivement du passé.  Nous sommes en effet invités  en psychanalyse comme en politique à guérir de ce passé néfaste poussé à s’actualiser dans notre présent. La psychanalyse peut de ses effets d’expérience proposer à faire jouer l’engagement des désirs singuliers en faveur du collectif. Un pas supplémentaire qu’une indignation pour soutenir dignement toute l’argumentation d’une situation inacceptable en oeuvrant la construction d’une inédite forme nécessaire d’ utopie comme surgissement de possibilités nouvelles non comme l’horizon d’un futur qui chante mais bien dans la possibilité à chaque instant de sauver la mémoire blessée.

    Ce qui fait expérience n’est pas seulement l’histoire, les  utopies , et leur variante de répétition ou de fin, c’est plutôt l’analyse de la traversée au présent du voyage qu’elle suscite pour proposer un espace créatif. Cet ouvrage nous permet de percer les mystères imperceptibles du temps et y entrevoir une lueur vers l’invention.                                                   

           Sebastien Firpi

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