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Dossier résilience

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Collectif d'auteurs, Joseph Rouzel

lundi 23 février 2004

On trouvera ici quelques éléments d’un dossier ouvert sur la résilience. Ce dossier n’est pas clos. N’hésitez pas à envoyer vos remarques. Soutenir la critique c’est faire oeuvre de salut public, en ces temps où les sirènes semblent bien avoir démâté ce pauvre Ulysse.

· Psychanalyse sans résilience, Joseph Rouzel

· La résilience ? Du vent, Joseph Rouzel

· Réaction de Christian Ayerbe

· En quoi cette notion de résilience me dérange ? Gyslaine Jouvet

· Réaction de Denis Mongault

· Socio-résilience. Gyslaine Jouvet.

· La résilience. Le retour. Joseph Rouzel

Psychanalyse sans résilience. 1

La première fois que j’ai entendu parler de la chose, c’était à Lausanne. On m’avait invité à un colloque sur la résilience. J’ai entendu pendant deux jours étirer ce concept chewing-gum, bonne à tout faire de la pensée. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est le consensus mou qui se dégageait à chaque fois qu’un orateur parlait. Lorsque j’ai évoqué mon trouble durant une allocution, face à cet étrange exercice de non-pensée collective où la répétition quasi hypnotique du même mot sous toutes ses déclinaisons (« L’humour et la résilience », « la résilience et la crise sociale » « Religion et résilience » j’en passe et des pas meilleures), inutile de dire que ça a été mal reçu. Je me suis trouvé en prise avec une sorte d’égrégore qui possédait l’assistance et faisait front. J’ai alors réalisé que se tenaient ici (par la barbichette,) le clergé des églises (beaucoup d’ecclésiastiques) et de la science (beaucoup de médecins et d’ingénieurs). Lorsque l’un d’entre eux s’est fendu d’une définition, à savoir que la résilience désigne la capacité de certains métaux à se redresser dans leur forme initiale quand on les tord, j’ai pris mes cliques et mes claques et suis sorti. L’être humain n’est pas un morceau de fer, mais un être façonné par la parole. Voilà ce qui pour moi fait obstacle à ce genre de divagations, qui présente une pente d’autant plus savonneuse pour la réflexion qu’elles sont érigées en totem conceptuel : soit vous admirez béatement, soit vous êtes exclus de la tribu. Voila un fonctionnement de la pensée qui ne me convient pas. Penser c’est courir un risque d’élaborer, de se mouiller, se confronter. Je soutiendrai donc ici une thèse totalement antagoniste à l’idée de résilience, que m’inspirent et ma pratique et ma réflexion de psychanalyste : tout être humain, qu’il le veuille ou non, est créateur. La création, c’est ce que chaque sujet met en œuvre pour traiter l’intraitable de la pulsion, ce qui pulse en lui, sans jamais s’arrêter. Et là plusieurs sentiers de création s’ouvrent. Je sais que je vais en choquer quelques uns. Loin de moi cette intention. Ceux qui ont l’habitude de séparer les productions humaines en œuvres d’art et en banalités, vont être déçus. Je dis qu’on ne peut pas échapper au fait de faire œuvre dans sa vie. Dans cette thèse je m’oppose gentiment, comme je le fais toujours, mais fermement, à cette idée à la mode qu’est la résilience, dont Boris Cyrulnik est un des héraut d’arme. La résilience qui postule qu’il y aurait chez certains une capacité à rebondir dans des situations difficiles, m’apparaît comme un concept non seulement fumeux, mais dangereux, et qui plus est facteur de ségrégation sociale. En effet ce n’est qu’une resucée scientiste d’abstractions obscurantistes proférées dans la foulée de religieux comme Calvin, qui prônent une théorie de la prédestination. Certains hommes seraient élus par Dieu et d’autres non. Certains rebondiraient et d’autres non. Voila une belle trampolinisation de l’humaine condition. C’est le fond de commerce de la pensée protestante. Vous savez peut-être que Calvin, c’est ce qu’à montré Max Weber dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme , tombe sur un os en forme en question : comment reconnaître ceux qui sont prédestinés, quel est le signe que nous envoie Dieu pour les repérer? Un seul signe sûr et certain : ceux qui accumulent des richesses sont les heureux élus. C’est ainsi que Max Weber explique la naissance du capitalisme. La théorie de la résilience tient un peu de cette fumisterie.

D’autre part c’est une façon facile de faire l’impasse sur ce que la psychanalyse nous a appris a repérer comme procédant du choix du sujet et donc d’échapper à la responsabilité. La résilience c’est une dénégation de l’inconscient « De notre positon de sujet, nous sommes toujours responsables » nous dit Lacan dans une conférence sur « La science et la vérité ». Chaque sujet est toujours responsable de tout ce qui lui arrive. Responsable, pas coupable, comme le précisait haut et fort Georgina Dufoix à l’issue du procès du sang contaminé. Responsable au sens premier du terme, vient d’un verbe latin, respondere , répondre. Autrement dit être responsable, c’est répondre en son propre nom de ce qui nous arrive. Cela, personne ne peut la faire à la place d’un autre sujet. Et personne ne peut en déposséder un sujet. S’il y avait dans l’homme quelque force obscure comme la résilience qui pouvait faire faire l’économie à l’homme de sa responsabilité, il serait renvoyé à l’état d’une marionnette dont les ficelles seraient tirées par la puissance de la biologie ou la force du destin. En fait être responsable consiste, comme l’énonçait justement le poète Joë Bousquet, à « épouser notre destin ». La vie d’un sujet, on ne peut pas la changer, alors ce qui compte, c’est la façon dont il se situe face à cette vie, quelle qu’elle soit. Il peut se situer comme pur objet manœuvré par autrui ou bien comme sujet. Avec la résilience, la cause du sujet serait située en dehors. Certains en seraient pourvus, d’autres non. La résilience mettrait le sujet hors-cause, ce serait, pour s’en référer à l’étymologie, une excuse (ex-causa). Du coup on voit sous ce concept pointer son nez ce qu’on pourrait nommer une normose : ceux qui se sortent d’histoires difficiles sont jugés comme normosés, c’est à dire calibrés à l’empan d’une norme. Car enfin que signifie s’en sortir ? Je ne connais qu’une façon de s’en sortir pour l’être humain, c’est les pieds devant. En attendant, nous ne nous en sortons pas d’avoir à faire avec l’énigme de la vie et l’impossible, présent dans le sexe et dans la mort. Ce concept mou de résilience produit finalement une fois des plus une ségrégation. Le point de référence que je vise ici est au-delà de ces jugements de valeur sur la façon dont un sujet mène sa vie. La question inaugurale sur le fil de rasoir de laquelle j’avance est : quelle est l’œuvre que chacun est en train de réaliser ? Non pas en bien ou en mal. Oeuvre d’art ou basses œuvres. Mais qu’est ce qu’un sujet fabrique ? Cela peut ressembler à du mal, du malheur, ou du malaise, là n’est pas la question. En dehors de toute catégorie, de toute classification, qu’est-ce que je peux entendre, voir, comprendre de ce qu’un sujet fabrique, au sens le plus matériel du terme ? C’est peut-être à cela qu’il faudrait être attentifs. Sinon, dans ces endroits où l’on a le devoir d’accompagner des personnes en difficulté vitale, dans ces endroits nommés institutions sociales ou médico-sociales, si l’on n’y prend pas garde, on a vite fait de produire une ségrégation : les normaux et les anormaux. Les normaux, ce seraient les encadrants, médecins, psychologues, éducateurs, AMP, rééducateurs, administratifs, personnel d’entretien ; et les anormaux les accueillis ; que l’on a vite classés dans des boites pour justifier cette ségrégation ; trisomiques, psychotiques, handicapés sensori-moteurs, etc. Plus les anormaux tendent à se calquer sur le comportement des encadrants, plus on dit qu’ils s’en sortent. Ça doit être ça la résilience. Vous voyez qu’avec ma petite idée des sentiers de la création, je mets un peu le bazar dans ces classifications bien pensantes. Or tout sujet est condamné à traiter sa jouissance. Qu’il lui manque une bout du cerveau, ou que ses yeux ou ses oreilles ne fonctionnent pas, qu’il ait du mal à entrer en relation, ou qu’il s’enferme dans des agissements anti-sociaux, tout cela ne change rien à l’affaire. S’il l’on ne prend en compte cette dimension créatrice présente chez tout être humain, je vous le dis, on est à la masse. C’est à dire que l’on produit une masse informe, des légumes, des choses, que l’on pose dans des lits ou des fauteuils et qu’il faut garder comme des prisonniers. Si l’on ne veut pas être à la masse, il faut s’ouvrir à ce pari de ce que j’appelle une « clinique du sujet ». Tout être né dans le langage est notre frère en humanité et très souvent, c’est nous, les soi-disant normaux, qui sommes handicapés pour aller vers lui. Nous ne savons pas trouver, pour cheminer vers lui, les sentiers de la création.

Mon idée me pousse à dire, n’en déplaise au ségrégateurs de tous poils, que tout être humain traite comme il peut ce qui l’habite. Toute création naît de la force de la pulsion, de la libido, mais s’ouvre à la création de chemins multiples. Avec la même énergie pulsionnelle, on peut faire différentes choses. La pulsion, j’ai souvent employé cette métaphore, c’est comme une source de montagne : elle pulse, elle pulse, elle pulse. Elle ne veut qu’une chose : rejoindre le plus vite possible le point d’apaisement de la tension qui l’habite, le niveau de la mer. Dans la langue française, c’est pratique, il suffit d’ajouter une lettre, le « e » à la fin du mot mer, pour obtenir le but de la pulsion, la mère. Ce que veut la pulsion, c’est aussi rejoindre le niveau de la mère. Le désir des hommes, désir increvable, est un désir incestueux. C’est pour cela qu’il est interdit. Mais c’est pour cela aussi qu’il est si fort. Justement parce qu’interdit. Sur les sources de montagne, les hommes ont construit des barrages pour canaliser la force brute de l’eau. Ainsi faisant ils ont accumulé des énergies énormes qu’ils utilisent pour produire de l’électricité ou des mouvements mécaniques qui entraînent des machines. Je me souviens d’un de mes oncles qui vivait en Bretagne dans une forêt où il n’y avait pas d’électricité. Il a détourné un ruisseau, construit une roue à aube, et sur l’arbre de transmission, il a branché une dynamo qui alimentait la maison en électricité, et des courroies pour faire tourner divers moteurs. La pulsion, c’est pareil. Elle existe comme force productrice parce qu’elle a rencontré sur son chemin, un barrage. Ce barrage c’est la culture des hommes faite de langage. Prenez ici le mot langage au sens le plus global : tout chez l’homme est langage. Ce qui n’est pas langage, ce qui en est exclus, ce que je nomme l’infantile, c’est la part animale de l’homme. La conquête de cette part animal est sans fin. C’est nous dit Freud comme les polders en Hollande, où l’on gagne petit à petit de terres à cultiver en asséchant la mer. Ajouter y un « e » pour la pulsion.

Ce barrage que rencontre la pulsion sur son chemin et qui va finalement décupler sa puissance en accumulant ses forces, il est ancré dans une fonction : la fonction paternelle. La fonction paternelle c’est ce qui sert à faire barrage à la jouissance. C’est un point que je ne peux pas développer ici, malheureusement, parce qu’il constitue le cœur de la théorie et de la pratique de la psychanalyse, mais retenons que la fonction « père » désigne ce pouvoir du barrage face à la puissance de la pulsion. La pulsion en est condamnée à s’appareiller à cette fonction pour poursuivre son chemin. Dans un barrage ce qui transforme l’énergie brute en énergie d’ « hommestiquée », comme l’électricité, ce sont des turbines qui opèrent cette transformation. Les turbines dérivent la puissance de l’eau au profit de la collectivité. De la même façon une des transformations les plus intéressantes de la pulsion, c’est une dérivation vers des processus de socialisation ? Freud a appelé cela la sublimation. C’est le plus noble de la production pulsionnelle, en tout cas selon les critères d’acceptabilité sociale. Participer à la communauté des hommes par son travail ou son activité, se lier aux autres hommes et créer des objets, voilà l’essentiel de la sublimation. Mais je rappelle que la poussée de la pulsion est constante : ça pulse, ça pulse, ça pulse. Et les turbines de la sublimation ne fonctionnent pas toujours très bien : elles sont rouillées, ou bien le sujet veut une jouissance plus rapide, immédiate. En effet il faut longtemps pour apprivoiser le savoir-faire de la sublimation, il faut accepter beaucoup d’insatisfactions, d’attentes, d’apprentissages pour entrer dans les voies du travail ou de l’art. Peindre, sculpter, chanter, ne s’apprend pas en un jour. Même si l’acte de création jaillit ex-nihilo, l’apprentissage de la technique qui va accoucher de cet acte, exige du temps, des efforts, des sacrifices. Et comme la pulsion continue à pousser, qu’elle pousse au cul si j’ose dire, elle passe par d’autres sentiers de création. Ces autres sentiers sont ce que Freud nomme des formations de l’inconscient. L’inconscient étant, comme il le dira bien plus tard, le réservoir des pulsions, ce réservoir produit par accumulation de la libido freinée et déviée dans sa course par la culture. La pulsion alors se fraie un chemin dans la matière du barrage lui-même, elle passe à travers. Il y a comme ça de petites créations gentilles. Ce sont ces premières créations que Freud a repérées et qui lui firent faire l’hypothèse de l’inconscient. Ce sont les lapsus : vous voulez dire un mot et c’est un autre qui vient. Ou les oublis de mot. Ou encore les actes manqués, qui sont de grandes réussites de l’inconscient. Nous avons aussi cette petite machine extraordinaire à recycler les désirs inconscients et à leur offrir une voie de création : les rêves. Un peu plus frappants au fur à mesure que la force de la pulsion se fait plus pressante, les diverses manifestations du passage à l’acte. Le passage à l’acte signifie qu’apparaît un agir à la place d’un dire langagier. C’est comme un langage, mais avec des faits et gestes. Un sujet ne trouvant pas le passage pour le flux pulsionnel dans des voies socialement acceptées, passe les bornes, franchit les limites et, comme on dit, pète les plombs. Ce que Freud nommait agieren . Et enfin il y a une série de créations étonnantes chez les humains, ce qu’on nomme les symptômes en psychanalyse. C’est le corps qui se met à exprimer ce qui ne peut se dire sublimé dans la langage. Les symptômes que Freud range en trois catégories, selon la façon dont un sujet est appareillé au langage : névrose, psychose et perversion, sont de véritables créations. Qu’elles fassent souffrir n’y change rien. Le paradoxe que soulève la psychanalyse, c’est qu’en souffrant, le corps produit un apaisement de la pulsion. Quand on lit les délires de Paul Schreber ( Mémoires d’un névropathe ), célèbre psychotique du début du siècle, que Freud a étudié, à partir de ses textes, on ne peut qu’être frappé du déploiement créateur de ses productions. D’ailleurs c’est une indication clinique précise. Lorsqu’un psychotique commence à délirer, ce n’est pas le moment de lui casser la baraque : il traite à sa façon la pulsion. Le délire est une forme de création. Et après tout si ça nous dérange, il faut aller se soigner comme soignant pour le supporter. On le supporte bien chez ceux de nos contemporains que l’on nomme artistes. Le délire en effet est une production où la pulsion rencontre les voies du langage, dans la parole, dans l’écriture, ou dans toute autre mise en forme et retrouve donc les voies de la sublimation, c’est à dire de la socialisation.

Freud dans son Totem et tabou étaie à mon avis solidement cette thèse « D’une part les névroses présentent des analogies frappantes et profondes avec les grandes productions sociales de l’art, de la religion et de la philosophie ; d’autre part, elle apparaissent comme des déformations de ces productions. On pourrait presque dire qu’une hystérie est la caricature d’une œuvre d’art, qu’une névrose obsessionnelle est la caricature de la religion et une manie paranoïaque est une parodie de philosophie ». Plutôt que de parodie ou de caricature, j’avance ici qu’il s’agit de productions de même nature, toutes issues du traitement de la pulsion par le sujet. Dans la psychanalyse pas de résilience : mais un sujet et sa responsabilité de ce qu’il fait de sa propre vie. De quel droit penserions-nous qu’il est des vies dignes d’être vécues et d’autres non ?

Joseph ROUZEL, directeur de l’Institut Européen Psychanalyse et travail social, psychanalyste, formateur en travail social

La résilience ? Du vent.

Pour le numéro du 16 janvier de L’Express d’apologie de Boris Cyrulnik et de la résilience, la journaliste m’a contacté, en me disant qu’elle souhaitait un peu d’équité dans le traitement de l’information. Elle n’avait trouvé jusque là que des opinions pour; j’étais le seul, dans un article paru dans Le Furet, a avoir dit mon désaccord. Evidemment sur une demi-heure d’interview, il reste 2 lignes. Comme je pense que le sujet n’est pas sans intéresser les lecteurs de Turbulences, et que je soutiens qu’il est bon sur tout sujet de mener le débat contradictoire, sans croire naïvement que « ça va de soi », je résume ici mes arguments contre la notion de résilience. Ils sont de deux ordres : sur la forme et sur le fond.

Sur la forme, c’est un concept qui ne tient pas debout. Voilà un mot à la mode, « résilience », extrait du discours des sciences dures, comme il y a quelques années la systémique (issue de la cybernétique). On a ici à faire à un modèle théorique tiré de la science physique et de la technologie des métaux, les ressorts par exemple. J’ouvre mon dictionnaire Grand Larousse en 5 volumes de 1990 : « Résilience : caractéristique mécanique définissant la résistance aux chocs d’un matériau ». C’est un mot qui est passé par l’anglais et possède une origine latine : résilientia rebondissement, saut en arrière ; mais aussi : repliement sur soi, se dit pour les cornes de l’escargot. En gros certains métaux lorsqu’ils sont déformés retrouvent leur forme initiale : ils rebondissent. C’est sûrement très pertinent dans la technologie des dits métaux, mais comment peut-on exporter un tel concept s’agissant des êtres humains, sauf à les considérer – ce que d’aucuns tentent depuis quelque temps – comme des machines, des humanoïdes ? Un être humain ça ne rebondit pas, ce n’est pas un ressort. Halte à la trampolinisation de l’humain !

Sur le fond, je crois que le terrain est encore plus glissant. C’est un concept, quoiqu’on en pense, qui est producteur d’exclusion et de ségrégation. Il découpe le monde en deux : les bons résilients, qui rebondissent et les autres, qui restent sur le carreau. Mettre sur un piédestal Anne Frank, comme héroïne de la résilience, c’est laisser dans l’ombre ces milliers de jeunes qui sont morts comme elle dans les camps, mais à bas bruit. Ce concept fait l’impasse sur ce que la psychanalyse nomme l’inconscient, à savoir que, quelles que soient ses conditions de vie, il existe un sujet qui assume des choix. Le choix du sujet, même s’il se présente le plus souvent comme inconscient, ne saurait relever d’une cause extérieure, comme le petite mécanique d’un ressort que profile la résilience. Pourquoi ne respecterions-nous pas le choix du sujet quel s’il soit, au lieu de le juger à l’aune d’une quelconque normalité ? Car le concept de résilience produit de la norme, voire de la normose. C’est un concept qui déresponsabilise le sujet d’avoir à répondre de ses actes : c’est pas de ma faute, j’ai pas eu la résilience ! L’idée de rebondissement est empreinte du discours capitaliste, où l’on célèbre la noble figure de l’homme nouveau : le battant. C’est bien connu : mieux vaut être beau, friqué et résilient que black et d’équerre. Ce concept, malgré les belles intentions de ses auteurs – mais chacun sait que l’enfer en est pavé- produit donc de l’exclusion. Il savonne un peu plus la pente fatale sur laquelle glisse notre société post-moderne : l’instrumentalisation de l’humain. Ce concept ressemble fort à la théorie de la prédestination des calvinistes. Se demandant comment reconnaître les élus de Dieu, les calvinistes ont résolu la question : c’est la fortune accumulée qui fait signe. « Ethique protestante et esprit du capitalisme », titrait Max Weber dans un article qui fit grand bruit en 1910. On en est encore là…

Joseph ROUZEL

J'ai lu ton article sur " la résilience ? Du vent !

( lien Social du 27-02-03 )

Sans trop savoir de quoi il en retourne sur le fond, je suis resté méfiant à l'égard de cette nouvelle recette tellement. Elle séduit et se répand comme une trainée de poudre depuis ces dernières années.

Effectivement, quoi de plus rassurant que d'imaginer un destin aussi peinard au sujet traumatismé.

A se demander si d'y échapper ( au traumatisme ) ne menacerait pas le sujet d'être à jamais privé de cette promesse

Il va y avoir des jaloux, l'émergence d'une nouvelle demande : la castagne pour connaître le bonheur.

Caroline Eliacheff (dans sa chronique hebdomadaire sur F Culture le samedi à 13h30 ) est la seule psychanalyste que j'ai entendu critiquer sévèrement la mode "résilience". J'ai le rêgret de n'en avoir rien retenu sinon avoir décidé de ne pas m'orienter avec cette boussole.

Je te remercie pour ton éclairage. Il va m'aider à construire ma position car il est temps de s'opposer à la déferlante "résilience"

Dans ton écrit, tu évoques la cybernétique comme origine de la systémique. Je ne sais pas comment tu intègres ou rejettes la systémique dans tes recherches. J'ai commencé il y a un an une formation à la thérapie familiale avec le CUPPA au Mirail. La responsable pédagogique qui intervient en tant que formatrice (Brigitte Dollé Monglond) s'appuie sur la psychanalyse (est analyste) et des concepts systémiques. L'exercice me semble pertinent car il prend en compte la dimension du sujet ( l'intra psychique ) et celle proposée par la dynamique des systèmes ( inter personnel ).

Christian Ayerbe (17.03.2003)

En quoi cette notion de résilience me dérange ?

Parce vraisemblablement, elle me paraît trop simple. De multiples expériences, notamment dans les orphelinats ont montré que des enfants abandonnés, ayant subis de nombreux traumatismes, lorsqu’ils réussissaient à s’engager dans une relation affective avec des professionnels, se transformaient. Leurs comportements changeaient et ils réussissaient pour certains à se développer et à grandir.

Pour poursuivre, de plus elle a été dite sous d’autres formes et déjà étudiée avec les travaux d’Anna Freud et de René Spitz par exemple.

Anna Freud (1895-1982) écrit dans les années 30, les mécanismes de défense. Elle avait recueilli à la nurserie d’Amsted à Londres, pendant les bombardements de Londres, plusieurs centaines d’enfants fracassés dont les parents avaient été massacrés pendant les bombardements. Elle s’étonne vingt cinq ans plus tard de voir évoluer certains de ces enfants et dit ne pas comprendre. Lorsqu’elle les avait recueilli, ils ne parlaient pas, ils avaient des retards de développement…. Certains d’entre eux étaient épanouis, avaient appris un métier. La grave blessure de l’enfance ne les avait pas empêché de devenir humain.

Françoise Dolto (1908-1988), après guerre dit la même chose ; ces enfants peuvent reprendre leur développement mais ils gardent, dit-elle une personnalité particulière.

Spitz (1887-1974) a décrit les stades de l’enfant abandonné : protestation, désespoir, indifférence et récupération. Beaucoup de praticiens qui ont rencontré des enfants privés d’affection reconnaissent les trois premiers stades mais évoquent peu le quatrième. La récupération pourrait s’apparenter à la résilience. Spitz en parle et il dit même comment on peut tenter de permettre à ces enfants de reprendre leur développement.

La résilience me paraît également décontextualisé. Elle semble nier les différentes formes d’interactions avec le monde qui entoure chaque individu. Le résilient ferait fi des valeurs transmises par l’environnement et la société. La culture, les activités culturelles, les engagements politiques ou psychologiques, la nécessité de comprendre, font partie selon moi d’un processus de « résilience », dans le sens de dépasser la blessure, le traumatisme.

Les résilients auraient dépassé la souffrance alors que certaines personnes vivent avec et se sont construits avec elle. Des hommes sont faits de cette souffrance. Les résilients ne seraient pas faits de cette souffrance.

La résilience constituerait un support qui aiderait à mieux vivre certaines personnes. Ce serait en quelque sorte nier sa souffrance, ne pas la reconnaître ou finir par l’ignorer. Alors que cette souffrance permet à l’individu d’être résilient. Il a reçu un coup mais il va redémarrer, il va faire autre chose.

Cependant, cette notion de résilience est attirante car elle met en valeur l’originalité de la trajectoire de chacun. De plus, pour les travailleurs sociaux, cette réflexion peut être intéressante car il ne s’agit plus seulement de rechercher les causes de tel ou tel phénomène mais d’analyser les raisons pour lesquelles, les personnes cheminent. Cette démarche de réflexion peut nous aider à sortir de la plainte ou l’assistanat.

Jouvet Gyslaine , le 22 mai 2003

Réaction

Petite chronique Pontournienne N°12




Ah ! Enfin. Je commençai à douter de mon jugement !
Je me sentais un peu isolé depuis que m'étais tombé des mains le bouquin de
Cyrulnik « un merveilleux malheur ».

C'est que ce n'est pas commode de ne pas être d'accord avec cet éthologue
médiatique. Son concept de résilience est enrobé d'une épaisse ouate
consensuelle, comme si l'idée de résilience était si fragile qu'il ne
répondait pas au principe qu'il incarne. A savoir : retrouver, après les
chocs, l'éclat du début ; être capable d'encaisser des coups et de rebondir
voir être capable d'en profiter pour se construire. Pour faire plus cours :
le concept de résilience n'est pas résilient donc il se protège de la
critique.

Quitte à être un « vilain petit canard », (pour ceux qui auraient échappé à
la vague médiatique de la résilience, c'est le titre d'un bouquin de
Cyrulnik) je vais dire pourquoi j'ai du mal avec ce concept. En fait, il
démontre que quels que soient les malheurs, les souffrances, les drames
vécus il y a toujours possibilité de rebondir, de se reconstruire. C'est en
fait une idée qui fait l'éloge de la réussite, qui fait de l'aphorisme « qui
veut peut » un dogme. Donc arrêtons de nous apitoyer sur les pauvres petits
malheureuses victimes des drames de la vie, il faut au contraire plutôt les
encourager à dépasser leurs drames et leurs soucis biographiques. Voyez tous
ces exemples de personnes qui malgré leurs malheurs ont réussi brillamment
leur vie. Toutes ressemblances avec le discours économique ambiant qui fait
l'apologie de la volonté d'entreprendre et qui dit que tous ceux qui restent
sur le bas coté n'ont qu'a se ré axer sont t'elles fortuites ? Où alors
expliquent-elles le succès de ce concept ?
Que des sujets échappent à la destruction après avoir vécu un drame je n'en
doute pas. Ce qui par contre me dérange c'est d'étendre cette idée à
l'ensemble des sujets malmenés par la vie. C'est de répandre cette
conception, comme une traînée de poudre, sans aucune précaution partout dans
les médias, c'est d'accepter qu'elle soit utilisée pour en faire l'apologie
de la réussite à tout crin et par-là culpabiliser tous ceux qui pour des
raisons qui les dépassent parfois ne parviennent pas à éviter les échecs.

Exemple : Un soir de fête de la musique dans une ruelle désertée je vois S.
que je connais bien recroquevillé contre un mur, pleurant comme un gamin. Je
l'aborde, mal à l'aise, il m'explique qu'il vit une nouvelle désillusion
sentimentale avec une fille qui l'a humilié, pris pour un moins que rien,
qui lui a imposé de rompre ses relations avec ses enfants qu'il a eus avec
une autre femme qui a fini, elle aussi, par le jeter. S. s'empêtre dans des
situations où il est victime de rejet, de honte, d'humiliation. Les
tentatives de thérapie même si elles lui ont permis de faire le lien avec
son histoire de gamin maltraité n'empêche pas pour l'instant la répétition
de ces échecs. Alors qu'aurais-je du penser lors de cette rencontre ?
Qu'aurais-je du lui dire pour l'aider qu regard d'une lecture de la
résilience ? Bouge-toi le cul S. Résilie-toi. Résigne-toi, trouve-toi une
autre gonzesse plus cool, te laisse pas mener par le bout de nez.La
complexité du vécu psychique ne se réduit pas (malheureusement ?) à
l'affirmation de poncifs ou au martèlement d'injonctions.
Car S. se dit qu'il n'est qu'une merde, un moins que rien, qu'il se fourre
toujours dans des histoires pas possibles où il se fait piétiner, et qu'il
n'arrive pas à sans sortir, mieux il y retourne. C'est pour ça qu'il cherche
à se faire aider. Mais la dernière aide qu'il a reçu l'a ancré un peut plus
dans sa détresse et est venu enfoncer le clou du sentiment déplorable qu'il
se fait de lui-même. En effet la psychothérapeute qu'il rencontre en ce
moment lui a donné à lire « le vilain petit canard ». On peut facilement
imaginer le désastre en lisant des exemples où des types qui ont eu des
histoires similaires ou encore plus dramatiques que lui s'en sortent
haut-la-main et viennent étaler leur réussite sociale insolente par
l'intermédiaire des propos de Cyrulnik et l'étayage de sa théorie sur la
résilience.

On m'objectera que les pontes de la résilience ne sont pas responsables des
thérapeutes incompétents qui utilisent des concepts mal digérés.( comme moi
peut-être dans un but opposé). Je leur répondrais alors qu'ils n'ont qu'a
pas nous inondé de leur vulgarisation au risque, comme nous venons de le
voir, de tenter les apprentis sorciers.
Vous me direz, chers collègues, pourquoi développer ce thème dans les
chroniques pontourniennes ?
Parce Qu'en lisant une lettre de Rouzel dans Liens Social portant un regard
critique sur la résilience ( c'était la première fois que je lisais un texte
en ce sens qui effilochait un peu la « ouate consensuelle ») je me suis
senti autorisé (je vous ai déjà dit qu'il n'était pas si courageux que ça le
garçon !). Et je me suis rappelé que l'an passé plusieurs d'entre vous
c'était inscrit à un stage sur la résilience et l'humour si je me souviens
bien. Et depuis silence radio. C'est l'occasion de remettre à l'ordre du
jour ce « ouateux » problème. Et, comme un fait du hasard, alors que cette
chronique est en cours, que vois-je en évidence sur le bureau de notre
vénérée chef de service : le dernier opus de Cyrulnik himself.

C'est l'homme qu'est comme ça qu'est humain qu'aime bien qu'on lui serve des
recettes, quand les situations sont complexes. ( Et moi j'aime bien cette
phrase de Sibony -encore lui- : « ce qu'ils demandaient ce n'étaient pas une
bonne réponse un bon produit mais une aide pour entrer dans la question. »)

Bon j'arrête de digresser, y'a les filles, résilientes ou pas, à s'occuper.

Denis Mongault

Socio-résilience.

Toujours à propos de la résilience

3 éléments sur que j’avais à reprendre :

« ……la grave blessure de l’enfance ne les avait pas empêché de devenir humain »

«

..La résilience me paraît décontextualisé…. »

«

.Des hommes sont faits de cette souffrance. Les résilients ne seraient pas faits de cette souffrance…. ».

________________

« ……

.la grave blessure de l’enfance ne les avait pas empêché de devenir humain………. »

Je reprenais alors les travaux d’Anna Freud qui avait rencontré des enfants victimes de la guerre et qui adultes étaient devenus épanouis, avaient un métier… Ma réflexion serait de dire que lorsqu’un traumatisme, une épreuve arrive, même les enfants qui possèdent des ressources internes, ne peuvent pas reprendre leur développement sans l’aide de ressources externes affectives proposées par la famille, les amis, les voisins et des ressources sociales mises à disposition par la culture et les institutions. Et ainsi, les enfants qui ont subi des traumatismes deviennent des hommes au même titre que tous les individus.

Il s’agirait d’aider les enfants qui ont souffert à prendre conscience de leurs ressources mobilisables. Les influences extérieures sont importantes. Peut-être, peut-on parler de tissage d’un lien auquel on pourra ensuite donner un sens en parlant avec l’enfant ou l’individu ayant subi des souffrances pour comprendre ce qui lui est arrivé. Une activité sportive ou artistique, des rencontres, une prise de responsabilité…. Autant d’éléments qui peuvent contribuer à reconstruire l’image, souvent très négative que les gens qui ont souffert ont d’eux-mêmes. La personne qui a souffert devrait pouvoir exprimer son monde intime, par le chant…., sous différentes formes. L’engagement social peut aider aussi à surmonter la souffrance.

Les femmes qui ont subi un viol, par exemple rejoignent quelquefois des associations de soutien aux victimes

. « Elles ne parlent pas d’elles, mais à des femmes comme elles. Ces femmes font un excellent travail, bien plus pratique qu’idéologique car elles souhaitent comprendre et prévenir l’agression subie ».

La résilience me semble être statique : c’est un regard figé sur la personne en souffrance. C’est en projetant la personne dans l’avenir, en tant qu’être en devenir avec des chances identiques à un individu qui n’aurait pas souffert, que nous pouvons provoquer des interactions qui soutiennent la personne qui a vécu des traumatismes.

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« ……

.La résilience me paraît décontextualisé………

.

.

Si des individus ont la capacité d’affronter avec succès les risques et les déboires sérieux de l’existence, il s’agit pour moi d’une combinaison de « force intérieure », d’appui de l’extérieur et aussi d’apprentissages. Autant d’expériences qui amènent vers de la confiance en soi. La force intérieure est importante au même titre que la capacité d’apprendre, de résoudre des problèmes, et l’aptitude à entretenir des rapports humains. Une personne qui possède une bonne dose de ces qualités ou aptitudes, peut faire face à de nombreuses difficultés ou traumatismes.

Cyrulnik affirme que chez tout un chacun des braises de résilience existe. On souffle dessus, et l’enfant meurtri, fracassé, maltraité …. reprend le chemin de la vie. Il y a comme une renaissance mais qui implique me semble t-il de rencontrer comme des « tuteurs » présents et compréhensifs. Pour certains psychologues

, dès les premiers jours de la vie, les bébés adaptent leurs comportements en fonction de l’attitude des parents à leur égard. Quatre sortes d’attachement réciproque peuvent être distinguées :

sécurisant

évitant

ambivalents ou désorganisés.

Ce qui peut nous amener à penser également que selon le type de relation que l’enfant réussit à établir, il saura plus ou moins bien se reconstruire après une blessure de la vie.

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« ……

..Des hommes sont faits de cette souffrance. Les résilients ne seraient pas faits de cette souffrance…………

.

Cette capacité à rebondir chez le résilient serait porteuse d’un dynamisme et génèrerait de nouvelles pistes d’action qui ne viendraient pas de lui parce qu’elles semble survenir en dehors des réactions de l’individu.

Alors que celui qui souffre, celui qui lutte, celui qui semble sombrer à un moment donné de son existence ne peut pas en faire l’économie pour étayer sa créativité. Et pourtant, il me semble que c’est quelquefois après une démarche souffrante qu’on peut actualiser des forces demeurées jusqu’alors inconnues.

Pour conclure, j’ai du mal à envisager qu’une cause provoque un effet pendant toute la vie. Nous sommes entourés d’une multiplicité de déterminants. La société organise des lieux de développement intellectuel, scolaire, culturel, sportif, affectif et plus les possibilités pour un enfant blessé de réussir sa vie sont importantes. Il m’est difficile de raisonner en termes de causalité linéaire. Ce qui implique de participer aux développements, à la vie des autres, à notre insu.

Gyslaine Jouvet

La résilience : du vent… (Le retour).

J’ai reçu beaucoup de courrier, par mail et poste, suite à un article contre la résilience paru dans Lien Social il y a quelques mois (n° 655 du 27 février). Certains me demandent ce que Cyrulnik m’a fait ; d’autres - et c’est très touchant- me disent que la résilience leur a sauvé la vie etc… Je vais tenter une réponse ouverte. Soyons clair, je n’ai rien contre qui que ce soit. Je suis sûr que Cyrulnik, pour ce que j’en sais, est un homme charmant et avenant. Quant à la façon dont chacun se débrouille de sa propre vie, je n’ai rien à en dire. Mais le débat d’idée réclame de se détacher des personnes et des affects pour entrer dans le cercle vivant de la dialectique, balisé par cette évidence : ça ne va pas de soi. C’est ce qui maintient en vie la pensée.

Je rappelle mes arguments :

1- La résilience est un concept mou, issu de la technologie des métaux, inapplicable dans les conceptions de l’humain.

2- Ce concept exploité dans le champ social produit de la ségrégation.

Petite démonstration. On pourra se référer à une interview accordée par B. Cyrulnik à la revue L’entreprise d’avril 2003 qui pose cette question « Et si le créateur d’entreprise qui a réussi à partir de rien était l’exemple type du résilient ? ».

Un concept mou ? « C’est un terme de marine. On dit d’un sous-marin qu’il est résilient quand il reprend sa route après un choc ». Peut-on penser sérieusement appliquer un tel concept dans le champ des relations humaines. Choc, tôle froissée, résilience : ça repart ! Pitié je ne suis pas un sous-marin…

Qui produit de la ségrégation ? « Les patrons qui furent des enfants traumatisés donnent une signification particulière à leur entreprise. Pour eux, c’est soit la victoire, soit l’agonie psychique, à l’instar de Bernard Loiseau. » Et ça continue « L’entreprise leur sert de psychothérapie. La victoire sociale les soigne ». etc J’avais bien raison, sans connaître ces développements de la pensée résiliençologique, de rapprocher la résilience du calvinisme : le signe du ciel qui désigne les élus de Dieu (ou les résilients), c’est le fric, la victoire ou la réussite. Est-ce qu’on ne pourrait pas interroger sérieusement ces catégories de jugement qui tiennent le haut du pavé de la société spectaculaire et marchande ? Si ce n’est pas un facteur de ségrégation qu’est-ce que c’est ? Pauvre Bernard Loiseau, sacrifié sur l’autel des croyances magiques, jusque dans la mort on t’arrache ce qui fait l’essence même de l’être humain, ta responsabilité. T’avais pas tiré le bon numéro, c’est tout, c’est de la faute à pas de pot, t’avais pas la résilience, ni la baraka. Est-ce qu’on entrevoit ici la violence féroce faite à un homme qui vient de mourir ? « Agonie psychique » ? De quel lieu peut-on juger la position d’un sujet si ce n’est d’un lieu où l’on détermine qui sont les bons résilients et les autres, d’un lieu où l’on sait, fort du savoir du maître, ce qui est bon pour l’autre ? Kant nommait cette attitude, « la tyrannie ». Les dieux sont tombés sur la tête. Il faut croire qu’on ne veut plus de cette « atroce liberté », comme disait le poète René Crevel, qui signe, jusque dans le choix de sa mort, l’essence même d’un sujet, responsable de ses actes. « De notre position de sujet, nous sommes toujours responsables » écrivait Jacques Lacan. Je crois bien que de cette responsabilité, on n’en veut plus. Mieux vaut, comme dans le discours courant, accuser autrui du malheur qui nous arrive, ou bien se réfugier derrière un concept mou, la résilience.

Est-ce qu’on y voit plus clair dans ce que produit ce mode de penser ?

Sur le plan conceptuel, c’est un schmilblick, sorte de bonne à tout faire de la pensée. Il peut être associé à n’importe quel autre concept. Dans un colloque à Lausanne, j’ai vu la résilience conjuguée à toutes les sauces : l’humour, la religion, l’école, la politique etc, et pourquoi pas le trou de la Sécu, les macaronis bolognaise et le tour du monde en 80 jours ? Voila un prêt-à-penser qui opère par répétition hypnotique. Sorte de mantra moderne, ça évite de se creuser la tête, de ne pas savoir et de penser, sans jamais la résoudre, l’énigme de notre présence au monde. Certains ont l’impression de comprendre, de se comprendre, moi ça m’endort. Sur le plan social, on peut le voir à l’œuvre, si on ouvre les yeux, c’est un facteur de ségrégation qui partage le monde en deux : les bons (résilients), les mauvais (non-résilients). Comment dépasser cette pensée binaire, si ce n’est en restituant à chacun sa propre responsabilité, pour le meilleur … et pour le pire ? De quel droit pourrions nous juger qu’il est des vies humaines qui valent le coup d’être vécues et d’autres, non ?

1 On trouvera de plus amples développements autour de cette question, dont je reprends ici certains éléments, dans mon ouvrage Psychanalyse pour le temps présent , Erès, 2002.

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