Textes > fiche texte

Bernard Montaclair, éducateur de la haute folie...

Suggérer à un ami Version imprimable Réagir au texte

Joseph Rouzel

mercredi 17 septembre 2025

Bernard Montaclair, éducateur de la haute folie… *

Lundi 6 mai 2025, l’amie Christine Hay-Montaclair m’envoie un texto à 21 h : « J’ai l’immense chagrin de t’annoncer le décès de Bernard dimanche soir… »

Peu de jeunes collègues connaissent cette haute figure de l’éducation spéciale qui nous quitte à 95 ans, après une vie bien remplie, au service de la formation des professionnels qui œuvrent aux côtés des plus démunis de nos contemporains, ceux que notre société dite moderne laisse en plan…

J’ai fait la connaissance de Bernard dans les années 90. Je venais de créer une collection chez érès « L’éducation spécialisée au quotidien ». C’est par ce biais que m’est arrivé le manuscrit Former des éducateurs. L’exemple d’une pédagogie citoyenne : L’École de la Haute Folie signé de Bernard Montaclair et Pierre Ricco. Rien que le titre appelait à lire. La « Haute Folie » est en fait le nom du quartier où, après l’invention du service d’AEMO du Calvados, Bernard et Pierre créent de toute pièce une école d’éducateurs à Hérouville. Bernard, docteur en Psychologie, ancien éducateur et enseignant, compagnon de route de Célestin Freinet et Fernand Oury, psychanalyste… en prend la direction. Influencés par la dynamique des groupes, le psychodrame et la psychanalyse, les deux compères mettent en œuvre les fondements mêmes de la pédagogie institutionnelle et des méthodes d’éducation actives inaugurées il y a plus de 80 ans par les CEMEA.   Le récit dans l’après-coup de cette expérience est unique pour comprendre in vivo les jeux et enjeux d’une formation vivante, fondée sur la responsabilité et l’invention des acteurs. La pierre de touche de cette formation est constituée par le quotidien, matière première de la rencontre clinique, que ce soit en centre de formation ou sur le terrain institutionnel. Nous sommes à mille lieues des IRTS, qui tentent de singer l'université.  L’ouvrage qui se lit comme un roman pose des questions essentielles sur la formation et la fonction des éducateurs spécialisés aujourd'hui.

Après cette expérience, Bernard a poursuivi dans la voie de la psychothérapie. Il  a donné un témoignage poignant de sa pratique singulière dans une bel ouvrage paru en 1978 aux Éditions érès. J’en ai assuré la préface. Faisant le parallèle entre l’éducation et le travail thérapeutique, j’y écrivais que : « Éducateurs et psychothérapeutes sont ainsi convoqués pour tenir, au coude à coude, de véritables espaces de re-création pour des sujets démunis. » 

Puis nous nous sommes côtoyés un peu plus. Je me souviens d’une grande fête pour ses 70 ans en Périgord.  Avec beaucoup de musique. Bernard était entre autres un artiste du violon et du chant. Il a rejoint ensuite le groupe des superviseurs que nous avions monté à Psychasoc, ce qui lui a permis de garder un lien vivant avec les réalités institutionnelles.

Bernard poursuivait ses publications d’articles, il militait dans son quartier et ailleurs.  Lors d’un voyage en Israël et à Gaza pour la réconciliation des deux peuples, par exemple. De temps à autre il passait à la maison ou bien nous passions à Hérouville. Le lien était vivant. Lors d’une dernière rencontre à Hérouville où, avec Marie-Christine, il m’avait accueilli, je l’ai trouvé à 90 ans en train de se bagarrer vaillamment contre le Covid. C’était cela Bernard : il ne lâchait jamais.

Le 3 août 1994 parait au JO la déclaration officielle du  CNAHES (Conservatoire National des Archives et de l’Histoire de l’Éducation Spécialisée et de l’Action Sociale), avec comme but de : « Recueillir les témoignages des premiers acteurs du secteur de la protection de l’enfance et de l’adolescence ; créer un centre de repérage, recueil, conservation, exploitation des archives de ce secteur ; faciliter la rencontre de tous ceux qui sont soucieux de son histoire ; contribuer à la diffusion et à la valorisation des études, recherches et enseignements sur ce sujet ; transmettre ce patrimoine aux acteurs d’aujourd’hui et de demain ». Bernard en est une des chevilles ouvrières avec, parmi d’autres, Serge Ginger et Jacques Ladsous.

En 2015, dans un bel entretien accordé à Ouest-France à propos de son ouvrage Henri Kégler, entretiens avec Bernard Montaclair. « Un instituteur... Des institutions. Contribution à une refondation de l'éducation », paru aux éditions du Chameau, Bernard revient sur la période de Vichy (mise au jour en ce qui concerne « l’enfance en danger » par les travaux de Michel Chauvière), sur l’après-guerre et les ordonnances de 45, ainsi que la naissance de l’éducation spéciale dans la région au Château de Champ-Goubert, près d'Évrecy, dans les années 1950. « À partir de là est née une expérience, la sauvegarde de l'enfance, qui donnait la primauté à l'éducation et à l'écoute des enfants. », précise Bernard.

Donner une liste exhaustive des travaux, entretiens, articles, ouvrages mais aussi engagements de Bernard Montaclair serait fastidieux tant ils sont pléthore. Le fil conducteur est celui d’un homme engagé, un homme bien de son temps.  Les plus jeunes tireraient grand profit à se plonger dans son immense travail de réflexion sur l’éducation, la formation, le travail dit social, le soin, la thérapie... Bernard laisse un véritable enseignement, vivant, concret, toujours ancré dans une pratique quotidienne.

Joseph ROUZEL

 * Texte paru dans VST - Vie sociale et traitements  2025/3 (N° 167) 

 

Suggérer à un ami

Commentaires

Vous n'êtes pas autorisé à créer des commentaires.

Powered by eZ Publish™ CMS Open Source Web Content Management. Copyright © 1999-2010 eZ Systems AS (except where otherwise noted). All rights reserved.