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Ce qui est opérant dans la cure

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Joseph Rouzel

samedi 01 novembre 2008

Evidemment une tentative telle que celle qui se présente ici, à savoir quatre psychanalystes d'obédience différentes, alors que pas mal de leurs collègues sont trop souvent jusque là tanqués dans leur quant-à-soi, qui sortent de leur boutique, pour aller à la rencontre des autres, n'a pu que m'intéresser. Nous avons trop chèrement payé jusque là nos dissensions, nos divisions imaginaires, nos tirages dans les pattes.

Ce qui a peut-être rendu la chose possible, c'est que cela se passe en Belgique. Il est vrai, comme me le disait une amie récemment, que là-bas, la haine a été délocalisée sur d'autres objets.

Quatre psychanalystes donc sortent de leur cabinet et de leur école ou association respective et se risquent en terrain découvert pour parler de ce qu'ils fabriquent et des présupposés qui les guident. ça a du bon et on se doit de saluer la tentative. Elle se situe bien dans le droit fil de ce que Freud nous recommandait dans Die Frage der Laienanalyse : à savoir que pour pour connaître les « particularités de la cure analytique » nous ne pouvons inviter quiconque qui veut en savoir quelque chose à assister à une séance. ça c'est exclus. Il n'y a pas d'observation possible de la cure. « La situation analytique, précise-t-il, n'admet pas de tiers ». Il faudra donc « bon gré, mal gré, se contenter de nos dire, que nous rendrons les plus dignes de confiance possible ». Evidemment je souligne ce « dire... les plus dignes de confiance possible ». Autrement dit pour savoir ce que fabrique chacun dans le cadre de la cure nous ne pouvons nous en remettre qu'aux dires de chacun. Notons au passage que c'est vrai pour l'analyste, comme pour l'analysant. Le dire dépasse le dit, au sens où il pousse en avant l'énonciation du sujet. Il se présente comme une fiction et en tant que tel a valeur de vérité. La vérité a structure de fiction. Il s'agit donc de se parler et de se raconter des histoires si l'on veut en savoir un bout. « Qu'on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s' entend. » nous confie Lacan dans l'Etourdit . Voilà ce que ces quatre-là ont mis en oeuvre.

Or dans la tentative des quatre auteurs que nous rencontrons aujourd'hui - je dis auteurs car il sont passés, pour en dire un bout de ce qu'ils fabriquent dans la cure, par un texte - il y a de mon point de vue, un grain de sable. Et ce grain de sable est venu nuancer mon enthousiasme premier pour une entreprise tout à fait louable par ailleurs. Ce grain de sable m'a sauté aux yeux dans la 4éme de couverture de l'ouvrage. Si l'on fait un peu attention l'on s'aperçoit que chaque auteur y est représenté par le nom de l'école ou association à laquelle il appartient; quant aux autres intervenants de la journée, dont je fais partie, sur la plaquette de présentation ils sont représentés par le nom de la ville qu'ils habitent. Ceci devrait nous mettre la puce à l'oreille. En effet dans ces processus de nomination, un signifiant brille par son absence, et justement, celui qui nous réunit ici. Lequel? Cherchez bien. Aucun d'entre nous n'est représenté par le signifiant « psychanalyste ».

Si chacun dans cet ouvrage s'exprime de façon assez ouverte, avec un certain allant, cependant ce n'est pas uniquement en son propre nom, ni sous le chef de la profession qu'il exerce. Ce qui vient en premier, ce qui est mis en avant c'est son appartenance. Il me semble que c'est là que le bât blesse. Je m'explique: on voit dans ces textes poindre en sous-main, l'ombre portée de l'association, de l'école, du groupe auquel chacun appartient. Je pense que cette ombre fait écran à un « dire digne de confiance », qui ne trouve ses racines que dans l'éthique du bien dire, confondue parfois, on le voit ici, avec dire bien, dire pour faire plaisir à l'association, dire pour être conforme au dogme, dire pour faire bien, etc. Or il n 'est d'éthique que du bien dire, soit, précise Lacan dans Télévision « du devoir de bien dire ou de s'y retrouver dans l'inconscient, dans la structure ». Cela participe d'un « gay sçavoir », lequel est lui, une vertu et s'oppose en tant que tel à la tristesse que Lacan qualifie de « lâcheté morale ». Je regrette que chacun ne soit pas allé assez loin dans une certaine forme de liberté, cette « atroce liberté » que célèbre le poète surréaliste René Crevel. Mais encore faut-il en assumer une certaine perte pour oser l'affronter. Perte du confort d'une école qui se transforme trop souvent en colle,- on y adhère à tout va-, perte de points de repère un peu trop pétrifiés, perte de maîtres à penser et à danser. Il faut y aller, pour oser cette liberté, d'un saut dans le vide, ce qui constitue le fond de toute l'expérience analytique. « Cette perte assumée permet de gagner un élément nouveau, à savoir la liberté. L'analyse n'offre pas, n'est pas le chemin ou la voie d'un bonheur imaginaire. Elle peut être accès à la liberté, à la liberté du sujet. C'est peut-être là ce que j'appellerai l'équation réduite de la psychanalyse. Le renoncement au sens est accès à la liberté. » 2 Si les analystes ne témoignent pas en acte de cette liberté, ils en stérilisent les effets de transmission. Que Lacan en 1972, à l'Université catholique de LOuvain, ait pu dire dans une interview qu'il ne parlait jamais de liberté, constitue justement, au pied de la lettre une aporie. La liberté est justement ce dont on ne peut parler, qui échappe au sens et aux sens, qui les troue. Liberté sous contrainte, donc. « J'ai peur, écrit Beckett dans son roman L'Innommable , de ce que les mots vont faire de moi ». C'est pourquoi il ne s'agit pas de rayer des la carte les mots qui nous encombrent ou nous dérangent, - le dogmatisme et toujours construit sur de telles exclusions -, mais au contraire de les faire travailler. Qu'est-ce que le mot liberté va faire de nous?

Au-delà de ce clivage entre écoles diverses, s'ouvre finalement le fossé entretenu depuis des lustres entre freudiens et lacaniens. Ce clivage imaginaire se présente de fait comme un point de recouvrement de la castration, au sens où la division est placée au mauvais endroit. La division n'est pas à situer entre Freud et Lacan, ni entre les écoles qui s'en réclament, mais au sein de chaque sujet en position d'analyste. En cela aucun analyste n'échappe à ce qui fait la marque de l'humaine condition. Il s'agit donc d'assumer la continuité de Freud à Lacan, tout en soutenant pour chacun les points de rupture. La clivage est imaginaire; la séparation symbolique. La rupture introduit un point de réel, à savoir l'impossible pour chaque sujet de coller à son discours. Parler nous divise! Entre le signifiant qui le représente et le sujet qui n'apparaît jamais que représenté, ça ne colle pas. Entre S1 et S2, ancrage élémentaire de la chaîne signifiante, ça ne colle pas non plus. S'ouvre là une béance, un « hiatus irrationnalis » 3 au sein du sujet lui-même, comme au coeur de la parole et du langage. Un peu comme dans la bande de Möbius: s'il y a bien une continuité sur la bande unilatère, tout point de la bande se divise en un endroit et un envers. Ce constat étant fait on peut envisager d'impulser un mouvement au-delà du principe de plaisir qu'entretient les clivage imaginaire freudiens/lacaniens, pour soutenir chacun dans la rupture qu'il introduit dès qu'il parle en son propre nom. Au-delà du principe de plaisir - ce qui constitue l'au-delà freudien comme non-religieux- , il y a en effet à se coltiner pour chacun la pulsion de mort, c'est à dire à apprendre à faire avec la jouissance et ses conséquences: fantasme, symptôme etc Il ne s'agit pas de combattre les mouvements psychanalytiques divers, qui ont leur fonction dans la transmission de la psychanalyse, mais d'ouvrir un point d'échappée. La psychanalyse, - son effectivité, son opérationnalité en dépendent - est toujours ailleurs. La fonction d'analyste relève bien de gardien de cet ailleurs, de cette Autre Scéne, comme l'énonce Freud. Bien entendu, c'est au point de rencontre entre sujet et institution que s'invente le symptôme pour marquer le territoire, pour chacun, de cet ailleurs. Or le clivage imaginaire freudiens/lacaniens a offert tout cuit du symptôme prêt-à-porter, sans que le sujet ait trop à s'en préoccuper: obsessionnel du côté des freudiens; paranoïaque du côté des lacaniens... (on peut évidemment affiner et nuancer). D'aucuns s'y sont engouffrés à bouche que veux-tu. C'est faire l'économie de ce passage à opérer pour chaque sujet du symptôme au sinthome, c'est à dire d'inventer son propre point de dépassement, sa propre échappée belle. C'est de ce lieu non-lieu, ce de lieu qui n'a pas eu lieu, de cette atopie que présente l'inconscient, qu'un sujet peut se soutenir parmi d'autres. Et en ce qui concerne la cure, l'analyste en venant épouser les contours de cette atopie, en se faisant le partenaire du symptôme, se prête à cette opération, non pas en position de sujet ou d'être (ah! le fameux être analyste) , mais en place de semblant d'objet @. Or cette position de destitution de l'analyste au sein de la cure n'est soutenable que si dans sa vie mondaine il peut se soutenir comme sujet, et non comme objet de collage, d'adhésion. Cela se présente donc comme un paradoxe: la position de semblant d'objet dans la cure n'est soutenable que d'une position de sujet ailleurs, que ce soit dans une école d'analyste, ou dans la vie courante. Ceci se joue particulièrement lorsqu'un analyste, dans l'après-coup de son acte, prend acte de ce qu'il a agit, pour rendre compte de ce qui est opérant dans la cure. Il y va ainsi d'un certain bris-collage, coupure-lien, pour le dire à la manière de Daniel Sibony. 4 5

La pratique de la cure relève d'un exercice marqué d'une profonde solitude et elle met en oeuvre dans le savoir, un trou, une énigme, voire une épine dans le pied, qu'on ne saurait réduire par un prêt-à-penser. On peut comprendre que les analystes se regroupent pour ne pas être seuls... à être seuls. L'école ou l'association représentent un havre de paix dans la tourmente ou une Académie au sens de Platon. Maintenant le risque est gros que les analystes s'agglutinent ensemble au prix de ne plus assumer chacun la charge de cette liberté. Freud nous a enseigné, dans Psychologie collective et analyse du moi , à quel point les regroupements humains s'opèrent à partir, certes d'une aliénation au même idéal, incarné par un chef ou une chefferie, mais surtout ils se construisent à partir de la haine d'autrui rejetée à l'extérieur. Ce qui soude un groupe finalement, c'est la haine. D'où les productions dramatiques aujourd'hui de communautarismes en tous genres, de retour des tribus, pour emprunter une expression à Michel Maffesoli, dont les groupes analytiques pâtissent, comme les autres. Rien ne saurait réduire ce point de solitude et d'énigme dont se soutient un analyste dans la cure. Le regroupement d'analystes a juste pour fonction de permettre à chacun d'en assurer la charge et d'en formaliser, chacun selon son style, les coordonnées. Ce point d'énigme que chaque analyste a eu a traverser dans sa propre cure fonde sa pratique, au sens où Lacan nous avertit qu'il y opére en place de semblant d'objet. Cela ne le décharge en rien de l'objet @, «cause du désir » comme le désigne Lacan, au contraire. Et c'est bien de cela qu'il s'agit de rendre compte, non seulement devant ses pairs, mais aussi face à un public plus large et passablement déboussolé aujourd'hui quant au sens de la pratique analytique. On peut penser que c'est ce que visait au fond la tentative de conversation et de publication des quatre auteurs.

Ce que nous apprend justement la psychanalyse c'est à parler en son nom propre, à la première personne, comme le disait Serge Leclaire. Je proposerai de réfléchir sur les entours de la cure qui ne peut s'exercer que du lieu de l'assomption de cette profonde solitude, là où chacun est confronté à la perte, au manque et à cette capacité à être seul, comme le dit Winnicott. Au Congrès de Nuremberg de 1910 qui vit la naissance de l'Association internationale de psychanalyse (IPA), tout en soutenant l'idée d'une telle association, Ferenczy met en garde contre "la pathologie des associations qui produit la mégalomanie, la vanité, le respect des formules creuses, l'obéissance aveugle et l'intérêt personnel" 6 Quel visionnaire ! On y est jusqu'au cou. Donc dès le départ le vers était dans le fruit. En même temps on ne peut pas agir ni penser tout seul dans son coin. Comment inventer alors des formes collectives souples, efficaces, où l'on peut changer de contenant tout en préservant la transmission du contenu. Comment se parler de ce qu'on fabrique sans se planquer dans une appartenance associative? Comment accepter que dans la pratique analytique il n'y ait pas de sens unique? Comment si ce n'est en renvoyant chacun à parler en son nom propre, tout en frayant sa marche dans les signifiants comme-un? C'est tout le paradoxe du discours analytique que de disposer de concepts partagés qui en balisent le terrain tout en invitant chacun à y tracer sa route selon son style, à sa façon.

Freud nous en avait d'ailleurs donné la direction en affirmant que, pour ce qui est de la technique analytique, le dispositif qu'il avait inventé etait le seul qui lui convienne personnellement. Par contre il reconnaissait qu'un autre praticien « d'un tempérament tout à fait différent du sien, peut être amené à adopter, à l'égard du patient et de la tâche à réaliser, une attitude différente ». Autrement dit, Freud à inventé une façon de faire qui lui va bien, à chacun, en tenant le cap de « la tâche à réaliser » de faire le dispositif à sa main. Comme un artisan fait ses outils à sa main. Le maniement du cadre relève d'un certain tour de main et non de l'application de recettes, qui se réduisent le plus souvent à des singeries. C'est un peu ce à quoi Jacques Lacan nous a aussi invité dans son slogan célèbre : « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais » Nos maîtres nous ont enseigné la liberté, mais de cette liberté trop souvent nous n'en voulons pas, nous préférons nous enchaîner. Servitude volontaire, prévient La Boetie. Trop de praticiens se présentent comme des clones singeant la pratique d'un autre, ou tout au moins engluant la pratique dans un discours sans surprise, convenu, pour tout dire une langue de bois. J'ai regretté que dans la tentative des quatre auteurs cela transpire à ce point. Cela m'a choqué. Le style adopté entre trop souvent en contradiction avec le fond visé. Ceci est une voie sans issue, un résidu transférentiel qui vient empoisonner la pratique. Là où Lacan nous invite, à la fin de la cure, à passer du travail du transfert au transfert de travail, trop nombreux sont ceux qui en ont inféré un transfert à l'école ou à l'association. La fascination pour un discours prêt-à-penser vient se mettre en travers d'un art qui, Freud nous le recommandait, ne tire sa puissance effective que d'une remise à zéro dans chaque cure engagée. C'est comme au poker, pour voir, il s'agit de lâcher le tapis, de miser le tout pour le tout. Chaque cure exige de nous de réinventer le discours qui la soutient. C'est un peu comme pour chercher le duende dont parle Lorca dans sa conférence de La Havane de 1930 Jeu et théorie du Duende : il faut sauter dans le vide et sans filet.

« Pour chercher le duende il n'y a pas de carte, pas d'exercice. On sait seulement qu'il brûle le sang comme un tropique de verre, qu'il épuise, qu'il rejette toute la douce géométrie apprise, qu'il brise les styles, qu'il s'appuie sur la douleur humaine inconsolable, qu'il fait que Goya, maître des gris, des tons argent et des roses de la meilleure peinture anglaise, peigne avec les genoux et les poings avec des noirs horribles de bitume. »

Toute autre position conduit à ce que nous avons connu de pire: la rigification des standards à l'IPA; la fétichisation des concepts dans les écoles lacaniennes. Je ne nie pas qu'il faut bien envisager des règles et des discours, encore faut-il que ces règles et ces discours n'entravent pas la conduite de la cure. Pourrons-nous, dans les années qui suivent, forts de tentatives telles que celle-ci, à condition de les mener un peu plus loin, continuer à produire l'invention incessante qu'exige l'ouverture au travail de l'inconscient? C'est ce que je nous souhaite de mieux. Pour nous analystes et pour la survie de cette pratique singulière. Faute de quoi – et malheureusement le mouvement commence à s'amorcer, et ce n'est pas l'appel à la population de quelques uns, qui arrangera les choses – la pratique analytique sombrera corps et biens. On pourrait penser que les regroupements d'analystes aient pour visée de soutenir chacun dans sa pratique, et non de faire passer une sauce préfabriquée. Car le coeur de la cure, à savoir la rencontre d'un sujet avec son inconscient, relève à chaque fois d'une énigme, qui pour se déployer demande qu'on invente, analysant et analyste, un dispositif et un discours en résonance avec cette énigme. De façon telle que l'analyste, comme l'analysant, puissent en faire, en acte, la monstration plus que la démonstration. Qu'est-ce que l'inconscient me direz vous? J'en emprunte la seule définition qui vaille, en l'adaptant à la circonstance, vous en reconnaîtrez le poinçon: L'inconscient, c'est le pont d'Avignon au petit matin. 7

Bien entendu, il s'agit là de critique de ma part, mais à une nuance près, tout d'abord c'est que comme le dit l'adage: qui aime bien châtie bien. Le plus beau cadeau que nous puissions nous faire les uns aux autres, c'est justement de ... ne pas nous faire de cadeau. Ensuite au-delà de la critique, on peut entendre une invitation à se libérer du connu, pour apprendre, comme nous le suggère Héraclite, à attendre l'inattendu 8 , à savoir ne pas savoir. Reste à se demander comment cette rose sans pourquoi peut se transmettre...

Joseph Rouzel, psychanalyste

1 Texte écrit en marge d'une rencontre en Avignon avec Lina Balestrière, Jacqueline Godfrind, Jean-Pierre Lebrun, Pierre Malengreau, tous psychanalyste exerçant en Belgique et co-auteurs de Ce qui est opérant dans la cure , paru en 2008 aux éditions érès.

2 Lucien Israël, Séminaire, Révision impertinente de quelques concepts psychanalytiques , érès, 1988-1989.

3 C'est le titre d'un poème de Jacques Lacan daté de 1929. On en trouvera le texte sur le site de psychasoc.

4 Voir Daniel Sibony, Le peuple Psy , Balland, 1992.

5 C'est pourquoi nous avons créé avec quelques collègues, pour explorer ces voies nouvelles, pour dépasser les frontières artificielles(écoles, associations, instituts, sociétés etc de psychanalystes) où l'on enferme trop souvent la psychanalyse : PSF, Psychanalyse Sans Frontière.

« PSF se veut porte ouverte sur:

* d'autres champs de savoir et de savoir-faire: philosophie, littérature, anthropologie, droit, art, poésie, sciences, techniques, écologie, religions, spiritualités...

* d'autres pratiques et praticiens: médecins, infirmiers, enseignants, travailleurs sociaux...

* voire d'autres pays, d'autres contrées...

La psychanalyse est passe-muraille, parfois clandestine, toujours subversive.

L’association PSF, association de fait, conformément à l’article 2 de la loi de 1901 n’a pas de bureau, pas de direction, même pas d'organisation, juste ce signifiant d'ouverture : trois lettres à broder, à border. On verra avec les bonnes volontés. »

(Annonce de la création de PSF en 2005)

Un ouvrage doit paraître en 2009 regroupant une vingtaine de participations, sous le titre de Psychanalyse sans frontière.

6 "De l'histoire du mouvement psychanalytique" in Psychanalyse I , Payot, 1968

7 Lors de ses conférences à l'Université Johns-Hopkins aux USA en 1966, Jacques Lacan déclare, en digne héritier des surréalistes « The best image to sum up the unconscious is Baltimore in the early morning ». ( La meilleure image pour résumer ce qu'il en est de l'inconscient, c'est... Baltimore au petit matin ).

8 Heraclite parle plus précisément de « elpis anelpiston » , c'est-à-dire de l'espérance de l'inespéré.

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Commentaires

psychanalyse/institution/religion

Cher Joseph,
sans annuler le coeur vif, poétique, de ton propos, je voudrais esayer ici, en quelques mots, de le replacer dans l'horizon qui m'occupe...

Je crois qu'on peut parler d'une reféodalisation du champ institutionnel, y compris "public" ; de cela témoigne, aussi, la fragmentation institutionnelle de la psychanalyse.

Mais si féodalisation il y a - ce qui, au mieux, pourrait déboucher à terme sur les formes nouvelles d'un "fédéralisme", articulé au principe "suzerain" national (républicain) et européen (démocratique) - je crains surtout et d'abord la désymbolisation du principe souverain, ou pour reprendre une formulation de Legendre, "l'écrasement de l'écart constitutif de la scène du Miroir"...

Trouve donc ci-dessous, le propos (publié sur le forum "oedipe"), que j'adressais à un psychanalyste qui affirmait, bien sûr à juste titre, que le caractère "laïque" de la psychanalyse, si fermement soutenu par Freud, signifiait que la "psychanalyse doit être dissociée de la religion"... Et pourtant, il y a une dimension "d'indépendance" impossible, qui, au regard de cet "inconscient" qui nous enveloppe, ne saurait exister, si tout du moins la psychanalyse, non désarticulée du noyau anthropologique (de la structure), demeure un "art de la Loi"...

Voilà ce que j'écrivais hier à JL Houbron :

Cher Jean-Luc Houbron,

Comme vous y allez avec la « religion », avec le mot « religion » !

Je me souviens là de ce mot de JB Pontalis, selon lequel « il n’y a que l’homme mort qui ne croît pas »… Je dis souvent, sous forme de boutade, aux plus anti-religieux de ceux que je rencontre, « moi je crois en Dieu, car lui au moins, au contraire de l’éducateur, du juge, du psychiatre, il a un avantage, il n’existe pas ! »

La psychanalyse doit-elle participer de la bravade « post-moderne » ?
L’issue de la cure déboucherait-elle sur un nouveau « nouvel homme», un humain affranchi de toute dépendance tutélaire, de tout lien «religieux», de tout lien de Référence, avec à la clef, comme y prétendent les militants de la Cause, l’avènement d’un « nouveau lien social », d’une « autre institution », entendue toujours, cela se lit dans ce fil, comme une institution faite à la mesure et selon les «lois» de son petit groupe ?

Avec la « mort de Dieu » annoncée par Nietzsche (mais qu’est-ce à dire que « mort de Dieu », et qu'est-ce à dire si cette « mort » n'ouvre l'accès au « seul un dieu peut nous sauver » de Heidegger ?), l’étage de la Référence – l’au-delà du sujet, des familles et des institutions – serait-il devenu caduc ?

Pensez-vous sérieusement que nous puissions nous délivrer du carcan, de la structure, et que votre légitimité de praticien s’auto-fonde ? Pensez-vous que le psychanalyste puisse mettre le lien de Référence à sa disposition, qu’il puisse par exemple, soyons concret, disposer du paiement de l’analysant sans payer l’impôt dû au Tiers légal ?

J’attire votre attention d’interprète sur cela :
Derrière la sécularisation, sous couvert de laïcité, la prétendue sortie occidentale de la religion recouvre une vraie démythologisation du Tiers légal, de l’Etat – une démythologisation dont participent tout aussi bien la technocratisation gestionnaire de l’Etat que les discours faisant de l’Etat l’Aliénator honni ; je vise là tous ces discours de facilité intellectuelle, militants ou doctoraux, qui tout en dé-métaphorisant l’Etat, aplatissent les questions et légitiment le ressentiment et la haine !
Je rappelle souvent cette remarque de Spinoza, dans son Tractatus theologico-politique : « … nombreux en effet sont les impudents qui s’efforcent d’arracher à la Souveraine Puissance l’essentiel de son droit et de détourner d’elle, sous couvert de religion, le cœur de la masse,… / Ne voit-on pas que leur manœuvre nous ramènerait à la servitude ? » (folio/essais Gallimard, 1994, p.23)
Comment des psychanalystes pourraient-ils ne pas repérer que le « sous couvert de religion » ici évoqué par Spinoza, se manifeste aujourd’hui comme un « sous couvert de non religion » ?

Cette démythologisation, à laquelle je vois s’associer tant de plumes brillantes, prisonnières de la «sociologie environnementale» (et de la doxa anti-normative associée!), traduit non pas tant la fin de la religion que «l’écrasement de l’écart constitutif de la scène du Miroir »… Cet écrasement de l’écart entre le sujet, la fonction et la Référence, dont se moque si bien La Fontaine dans « L’âne qui portait des reliques », est le principe (subjectif, fantasmatique) de tout fondamentalisme… [Cf pour les développements les plus approfondis, Dieu au Miroir, de Pierre Legendre]

Alors, avant de conclure ce nouveau petit tour, ma brutale question :
Les psychanalystes, dans leurs mises sociales, culturelles, politiques, sont-ils encore en capacité de payer le prix subjectif et politique du non écrasement de l’écart et des limites, en acceptant enfin de relever la facture théâtrale, institutionnelle, du Miroir, du Grand Autre, ou vont-ils continuer , sous des sophistications diverses, à valoir de fait (au regard du "complexe de croyance" ) comme incarnation du « père idéal », vrais agents/supports de «l'identification (narcissique) au psychanalyste »?

Il y a dans les institutions, depuis plusieurs décennies, une rente de prestige (de représentation) à laquelle nombre de ceux qui s'avancent comme "psychanalystes" ou se réfèrent à la "psychanalyse" se sont habitués comme à un fruit mûr tombé du ciel (du ciel de ceux d'en haut) ; nombreux n'ont eu de cesse de recouvrir cette rente d'une sophistique aux prétentions et intentions toujours très "bonnes" of course.
Cela, marqué du sceau habituel de l'anti-juridisme, a fait le lit à la concurrence !
Alors je dis, contre le courant dominant, que face à cette "concurrence" il conviendrait de mettre en questions cette "rente", ce qu'elle engage de l'illimité politique des propagandistes de la Cause, et par là, relevant l'enjeu de représentation, l'enjeu de justice refoulé, que les psychanalystes et autres universitaires interprètent, enfin, la prise de leurs propres mises et dires institutionnels dans le vaste champ des "séductions" politiques, institutionnelles.... (Lacan, dont la responsabilité en matière de "colle politique au Docteur et à sa Doctrine" est me semble-t-il lourde, tenta néanmoins, mais trop tard, et dans un contexte de pensée peu favorable à sa réussite, la "dissolution"....)

A refuser de reprendre cette affaire de la "religion psychanalytique", du "psychanalysme", en retournant la question vers nous, je ne vois pas, aujourd’hui, que la psychanalyse puisse demeurer "laïque", c’est-à-dire demeurer, comme clinique du fantasme, un espace tiers : cet espace où le jeu du tiers neutre (dans la suspension du jugement) vaut comme médiation, pour le coup « révolutionnaire », de la relation du sujet à la Référence, et non, idiotie « lacanienne » toujours en vogue, comme nouveau lien de Référence, ou au-delà du lien de Référence...
Je crains beaucoup que tant que les praticiens, dans la rigueur de leur art (art de la Loi), ne paieront le prix subjectif et politique exigé pour leur "laïcité", la psychanalyse, auto-référée (incluse « religieusement » dans son propre discours !), ne se trouve serve du conflit des références... Ce pourquoi, vous le savez, je fuis la peste pétitionnaire.

cordialement à vous,

Daniel Pendanx
bordeaux le 3 oct. 08

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