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Etre ou devenir éduquant

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Anicette Thomas-Daniel

mercredi 19 mai 2004

Quelles que soient nos fonctions, dès lors que nous sommes amenés à être en contact avec des enfants ou adolescents, nous devenons éduquant.

. L’ETHIQUE

L’éducation représente parmi les multiples entreprises humaines, une aventure à ‘haut risque’ puisque la vie est affaire de risques, de principes de précaution, puisque l’avenir reste à découvrir.

A peine avons-nous le temps d’intégrer de nouvelles techniques, de nouvelles découvertes que nous sommes déjà en retard.

L’Homme est sans aucun doute ce découvreur permanent, doué d’une imagination extraordinaire pour se projeter au-delà de sa propre vie, résister aux tentations de reproduire, transmettre un patrimoine de plus en plus étendu.

Il possède aussi une intelligence inouïe d’adaptation à son environnement changeant, aux circonstances, aux événements, aux autres.

En matière d’éducation, tout est alors question de petits et grands défis, de petites et grandes conquêtes.

Eduquer engage non seulement à prendre mais à accepter de courir le risque d’inventer l’avenir, d’affronter l’inconnu en autorisant progressivement l’Autre à se prendre en main, en déléguant avec prudence, vigilance et sans naïveté son pouvoir de décision et sa confiance.

L’accompagnement de l’Autre vers l’autonomie exige un savoir-être tout aussi important qu’un savoir-faire. Cette action qui touche à la personne humaine ne peut se résumer à une pure technique qui s’abstiendrait de toute dimension éthique.

L’engagement ne peut donc pas afficher une absolue neutralité sauf à s’enfermer dans un immobilisme sclérosant. Il sollicite l’expérimentation et l’usage de soi en continu, comme une volonté déterminée à s’éduquer soi-même tout au long de sa vie.

Nous avançons toujours par tâtonnements, par erreurs successives, par réajustements constants. Le progrès se construit par l’erreur, son analyse, sa correction.

Nous percevons, identifions puis évaluons les risques à prendre pour ne pas nous laisser déborder par nos émotions, la panique ou l’anxiété.

Il nous faut sans cesse nous entraîner, à la manière du sportif se préparant à l’épreuve, sans pour autant rechercher une performance au service de notre amour propre. Cela oblige à la rencontre qui n’a rien d’évident et de spontané. La rencontre est très exigeante et se produit sous condition que l’Autre soit pris en compte tel qu’il est, non tel que nous souhaiterions qu’il soit. L’exercice est d’autant plus difficile que nous ne nous méfions pas assez de nous-mêmes.

Nous devons limiter notre action à conduire l’Autre vers une liberté de pensée et d’agir dans le groupe humain qui le reconnaît et l’intègre, pour qu’il y fasse « ce qu’il doit comme il veut, et non ce qu’il veut », ce que nous appelons communément socialiser.

L’enjeu doit pouvoir se transformer en une règle du jeu librement consenti, dans lequel il n’existe bien entendu ni gagnant, ni perdant.

Il faut réussir à se mettre soi-même en jeu, s’exposer, se confronter, s’opposer si besoin, en un mot, servir d’autorité support pour tenir l’Autre debout chaque fois qu’il est sur le point de trébucher.

Enfin, nous devons reconnaître l’importance de ce que nous apprend l’Autre en échange, sinon nous risquerions de sombrer dans une prise de pouvoir productrice de petites violences sournoises, discrètes et finalement agir à l’encontre de notre mission première.

. L’ACTION

Pour que l’action devienne éduquante, nous devons accepter le principe essentiel que rien ne se déroule vraiment comme nous le prévoyons quoi qu’il en soit, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il ne faille rien prévoir bien au contraire, mais cela rappelle combien l’humilité reste de mise sur le sujet.

Il n’y a pas d’éducation possible sans garder à l’esprit le souci permanent d’élaboration de projets, autrement dit de vision à long terme, des stratégies à moyen terme, des tactiques à court terme.

La faute est impardonnable certes, mais le droit à l’erreur fait partie intégrante de la démarche pour en revenir à l’éthique. Plus encore, il crée les conditions d’une ambiance possible à l’éducation puisque l’éduqué comme l’éduquant peuvent alors se reconnaître dans leur humanité commune, ce qui autorise l’éduqué à faire confiance, à se faire confiance progressivement.

La mise en confiance est en effet un préalable indispensable pour l’initiative personnelle, et pour prendre les premiers risques à sa mesure. Il ne s’agit pas ici de chercher à se faire aimer de l’Autre bien évidemment.

Nous sommes avant tout soumis à une obligation de moyens, c’est-à-dire dans l’obligation d’assurer l’Autre dans ses apprentissages jusqu’à ce qu’il soit devenu apte à s’appliquer lui-même les principes de précaution inhérents à la vie en société.

Humainement semblables, faillibles par conséquent implicitement crédibles entre nous, la différence n’en est pas moins clairement signifiée en terme de responsabilités quant à l’organisation, la mise en action des moyens proposés comme dans l’usage de l’autonomie.

Dès lors que le climat éducatif est instauré, en posant les conditions de la confiance, de disponibilité d’esprit pour témoigner de l’intérêt que nous portons sur l’Autre, en confirmant ainsi que tout ce qu’il peut nous dire sera pris au sérieux, les stratégies prennent toute leur importance pour indiquer la direction à suivre.

Les stratégies mises en œuvre par l’éduquant et sous son autorité représentent une source de sécurisation essentielle:

Les temps, les moments de rencontres, de disponibilité à l’écoute, au dialogue, les exigences s’énoncent, se discutent.

Repérer puis baliser la route à suivre sécurise.

Le temps s’organise, se ponctue avec l’Autre.

Fixer pour l’Autre, se fixer des échéances incontournables oblige à aller de l’avant quoiqu’il arrive, même s’il faut parfois accepter quelques entorses et réajuster, c’est que nous appelons l’adaptation par opposition à la rigidité.

Il en va ainsi de notre nature humaine rythmée par la rigueur qu’elle nous impose, dont le respect des données comme l’entretien sont précieux et non négociables.

La souplesse et l’adaptation n’excluent pas la fermeté et l’exigence.

Les tactiques du temps présent font appel à un savoir-faire :

Celui-ci s’acquiert de multiples manières, en utilisant son intelligence intuitive de la situation que certains éducateurs de métier nomment souvent le flaire initial, par formation à des techniques pour ceux qui souhaitent en faire leur métier, mais également par confrontation d’expériences et d’erreurs avec d’autres ayant été en situation d’éduquant.

Il n’existe pas en effet de hiérarchie de savoirs en matière d’éducation mais une multitude de ceux-ci qui en font notre richesse de patrimoine.

Le tout consiste non seulement à accepter tous les autres savoirs, mais également à vouloir partager le sien avec les autres.

Peut-être est-ce là, le fondement éthique du mot équipe, faire équipe ?

Lorsque l’élève dépasse le maître, ne devrions-nous pas considérer cela comme une réussite éducative. Qu’en est-il encore aujourd’hui ?

L’enfant, l’adolescent doit le respect à ses éducateurs bien sûr conformément à l’héritage biblique que nous détenons, relayé par le Code Napoléon, le Code Civil. Nous ne pouvons éviter nos propres conditionnements éducatifs. L’essentiel est de réussir à les repérer, sans doute le plus dur labeur à engager sur nous-même.

Ne doit-on pas introduire un peu plus de réciprocité dans le raisonnement ?

PARUTION dans la revue LE LIEN SOCIAL, revue mensuelle d’Octobre 20

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