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Petit discours aux psychiatres de Sainte Anne

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Jacques Lacan

mercredi 22 septembre 2010

En 1966 avait été créé, sous l’autorité du Dr. henri Ey, le Cercle d’études psychiatriques. Un cycle d’enseignement avait été organisé, dans lequel une section était réservée à la psychanalyse. C’est dans ce cadre que le Dr. Jacques Lacan avait accepté d’intervenir. Le 10 novembre 1967, il y fit une conférence sur la psychanalyse et la formation du psychiatre. Cette conférence fut enregistrée sur bande magnétique. Rappelons le contexte de l’époque : la « Proposition du 9 octobre » par le Dr. Lacan, avec les dissensions qui allaient aboutir à la création du « Quatrième Groupe », la préparation de la revue «  Scilicet  » avec son principe du texte non signé, l’annonce faite par Lacan du litre de son prochain séminaire sur «  l’Acte psychanalytique  » et l’annonce concomitante de l’échec de son enseignement en tant qu’il ne s’était adressé qu’à des psychanalystes. Le transcripteur a pris le parti de donner à ce «  petit discours aux psychiatres de Sainte-Anne  », une forme écrite qui reproduise dans la mesure du possible le style parlé, avec les artifices de ponctuation qui ne peuvent être évités. Sont maintenus les suspens, les hésitations, scansions, répétitions et lapsus comme parties intégrantes du discours. Des indications sur les variations du ton auraient inutilement surchargé le texte, qu’on sache seulement que l’orateur ne se privait pas d’en faire usage : mordant, voire grinçant au début, incisif et concis dans la partie où il s’agit de la théorie du langage, confidentiel et d’une grande douceur à la fin. La très mauvaise qualité de l’enregistrement n’a pas permis de transcrire en totalité quelques passages. D’où l’utilisation des signes […] qui indiquent des passages absolument inaudibles et donc laissés en blanc ou les corrections du transcripteur. Entre crochets <…> quelques rares corrections au texte de la transcription originale. Enfin entre parenthèses sont notées les réactions de la salle.

Je vous remercie d’être venus, comme ça, si nombreux. Je vais tâcher de rendre cette cohabitation momentanée pas trop désagréable, étant donné cette espèce d’attention collective que vous voulez bien me donner.

Pourtant, en principe, je n’aurai pas, ce soir, des choses spécialement encourageantes à vous dire. En tout cas, ce n’était pas dans cette intention que j’avais accepté de parler, comme ça, presque en tête, car c’est tout au moins, ainsi, qu’on m’avait présenté les choses. Et si j’ai choisi car c’est moi qui l’ai choisi, ce titre : Formation du psychanalyste et… Psychanalyse 1 , c’est parce que ça me parait un thème spécialement important, mais, à propos de quoi, j’étais porté à commencer par, mon Dieu, ce qui peut se voir, se toucher, ce qui de toute apparence, en est déjà là, comme résultat, à savoir une constatation assez désabusée.

La formation du psychiatre, ça ne semble pas être quelque chose de tout simple, ni qui aille de soi, je dirai presque, jusqu’a un certain point, que cet énorme programme dans lequel on m’inscrit, en est la preuve. Pour déplacer tellement de personnes pour la « formation du psychiatre », il faut en mettre un rude coup. Enfin… c’est une certaine conception de la formation qui se répand de plus en plus : on forme, on forme. On forme à l’aide de communications, conférences, entassement de propos ; à propos de quoi, d’ailleurs, on pourrait de temps en temps se demander quel peut en être le résultat, car on ne peut pas dire, non plus, que ce que vous alliez entendre, ici, sur ce qui vous concerne comme psychiatres – je suppose qu’il y en a ici une très grande majorité – vous n’allez pas entendre des propos qui soient tous convergents, ni même seulement compatibles. Alors, qu’est-ce que vous allez faire ? Une synthèse, comme on dit ? On peut appeler ça autrement… pourquoi pas fatras aussi ! Il faut dire que la question se pose quelques fois sérieusement, de la différenciation entre le fatras et la synthèse.

Alors évidemment, cette formation du psychiatre, pour l’instant, semble entraîner beaucoup de remue-ménage, dans l’espace et dans le temps.

Il s’agit de voir… il s’agit de voir là-dedans quel est le rôle qui peut et doit être réservé à la psychanalyse.

Le côté désabusé dont je parlais tout à l’heure c’est, et au premier abord, cette conjonction qui est vraiment à la portée de tous – j’crois que personne ici, ou ailleurs, enfin là où il y a des psychiatres, où on fait de la psychiatrie, n’élèvera la voix contre ce que je vais avancer – c’est que la psychanalyse, au niveau où nous sommes là, n’est-ce pas, au niveau du collectif – je parle pas des effets de la psychanalyse, localisés chez tel ou tel, ça c’est une autre question, à laquelle nous viendrons tout à l’heure – mais enfin au niveau de l’effet d’masse… – j’emploie le terme que Freud emploie quand il s’agit du collectif, c’est un terme qui me paraît excellent, parce que ça ne suppose pas… rien de commun ce terme de masse ; ce n’est pas une conscience collective. Il n’y a pas besoin de conscience de masse, il y a des effets de masse – mais au niveau des effets de masse, qui ne sont que l’addition d’un certain nombre d’effets particuliers qui se produisent – <avec> 2 pour résultat de faire que le psychiatre s’occupe de moins en moins de ce qu’on appelle le malade, en général. Il s’en occupe de moins en moins, parce qu’il est tout occupé à sa formation psychanalytique et qu’il pense que tant qu’il n’aura pas la clef que peut lui donner la psychanalyse, ben, mon Dieu, ce n’est pas la peine de faire ce qui ne sera jusque là que du grossier sarclage, de l’approche inconsidérée.

Le résultat, c’est que pendant sa période de formation, précisément, celle qui est de l’internat, il ne songe absolument pas à ce qu’il en est de sa position de psychiatre : il se considère comme psychanalyste en formation. C’est pour les lendemains qui chantent, qu’on attendra le résultat.

En outre, un certain nombre de malentendus existant à la base, par exemple ceux qui fleurissent sur la bouche des candidats… – je dois dire qu’au courant d’une existence déjà longue, j’ai déjà vu se présenter devant moi pas mal de candidats à la position de psychanalyste et, histoire d’amorcer l’entretien, je leur demande : « enfin, qu’est-ce qui peut bien vous pousser dans cette voie ? »… Bien sûr, c’est une question à laquelle les réponses surabondent, mais il y en a une qui est toujours avancée, parce que c’est évidemment la plus noble, c’est le désir de comprendre ses malades. Évidemment, je ne peux pas dire que ce ne soit pas un motif tout à fait recevable, la première chose, en effet, qui apparaît, qui peut fort bien se manifester, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas du côté de la compréhension, quand on est en présence de ce qui, tout de même il faut le dire, est le cœur, le centre du champ du psychiatre et qu’il faut appeler par son nom : c’est le fou. Psychotique, si vous voulez.

Seulement, il n’y a pas que ça dans l’expérience d’un psychiatre, il y a aussi un tas d’autres malades qui viennent, pour des raisons de police, dans le même cadre, mais enfin, accordons nos violons, sachons de quoi nous avons à parler, c’est du fou. On peut parler d’un tas d’autres choses qui ne sont pas des fous, quoique ce soient des gens qui viennent dans les mêmes lieux que ceux où l’on soigne le fou, c’est des déments, des gens affaiblis, désintégrés, désagrégés, mis de façon passagère en état de moins-value mentale ; ça, ce n’est pas ça qui est à proprement parler l’objet du psychiatre.

C’est pour ça qu’il faut faire une grande différence entre une certaine théorie qui peut s’appeler, à plus ou moins juste titre, déstructuration de la conscience, ou tout autre mode d’organo-dynamisme jouant dans le sens d’une moindre fonction, il n’en reste pas moins qu’il apparaît – et justement dans toute la mesure où le dit organo-dynamisme a eu tout le temps… enfin… de répandre ses lumières – qu’il faut changer de registre, quand on parle, à proprement parler du fou. D’ailleurs, les propres représentants – mêmes de cet organo-dynamisme, éprouvent bien la nécessité de ce changement de registre et ne peuvent classer de façon univoque les démences et les folies, dans le même registre, disons jacksonien. Il faut faire intervenir autre chose, qu’on appelle – quand on est de ce côté là – au titre de la personnalité, pour commencer à… et non plus seulement de la conscience, quand il s’agit du fou.

Or, ce fou, c’est vrai qu’on ne le comprend pas et on vient trouver le psychanalyste, en lui déclarant que… c’est l’espoir, enfin, la… la certitude, car c’est un bruit qui s’est répandu que la psychanalyse aide à comprendre, et c’est ainsi qu’on entre d’un bon pas dans ce chemin de la psychanalyse ; d’ici à comprendre le fou pour autant, il est clair qu’on peut attendre, pour la raison que c’est tout a fait une maldonne que de croire que ce soit dans ce registre de la compréhension que l’analyse doive jouer. Je veux dire, ce qui peut de l’analyse avoir prise sur le fou, bien entendu ça va de soi, mais même, en elle-même, la psychanalyse n’est nullement une technique dont l’essence soit de répandre la compréhension, d’établir, même, quoi que ce soit entre l’analysé et l’analyste qui serait de cet ordre, si nous donnons au mot « compréhension » un sens, qui est le sens jaspersien, par exemple ; cette communauté de registre, ce quelque chose qui va s’enraciner dans une sorte d’Einfühlung, d’empathie, qui ferait que l’ a utre nous deviendrait transparent, à la façon naïve dont nous nous croyons transparents à nous-mêmes, ne serait-ce que pour ceci que justement la psychanalyse ça consiste à découvrir que nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes ! Alors, pourquoi est-ce que les a utres nous le deviendraient ?

S’il y a quelque chose que la psychanalyse est faite pour faire ressortir, pour mettre en valeur, ça n’est certainement pas le sens, au sens en effet où les choses font sens, où on croit se communiquer un sens, mais justement de marquer en quels fondements radicaux de non-sens et en quels endroits les non-sens décisifs existent sur quoi se fonde l’existence d’un certain nombre de choses qui s’appellent les faits subjectifs. C’est bien plus dans le repérage de la non-compréhension, par le fait qu’on dissipe, qu’on efface, qu’on souffle le terrain de la fausse compréhension que quelque chose peut se produire qui soit avantageux dans l’expérience analytique.

De sorte que, comme vous le voyez, cette expérience du candidat psychiatre qui vient comme candidat à se faire analyser, vous voyez déjà que dès les premiers pas, la première minute, la première seconde de l’abord, cela s’engage sur le plan du malentendu, que je peux bien qualifier de plus radical, parce qu’à la vérité, je vous ai dit tout à l’heure que c’est une grande majorité des gens que j’ai vu, parmi les candidats que j’écoutais, faire cette déclaration d’intention, comme on dit, mais… c’est parce que… enfin, je vous l’ai déjà dit en vous voyant si nombreux, je me suis un peu attendri, j’étais venu ici avec un discours fait de rugissements, alors je tempère… mais en réalité il n’y en a pas un seul qui ne m’ait dit, aussi : « je viens là pour mieux comprendre mes patients » ! Je peux dire que tous démarrent sur cette erreur de principe. C’est tout dire… Naturellement, je ne suis pas là, comme ça, face à des candidats pour enseigner la doctrine, la théorie, pour redresser ou discuter, je suis là pour enregistrer de quel pied ils partent. Ils partent tous, comme vous le voyez, du pied qu’il ne faudrait pas. Enfin, ils ne sont pas du tout, du tout éclairés. On peut se demander, jusqu’à un certain point, comment ça se fait, parce que ce que je viens, enfin, de vous dire comme ça, je ne vous dis pas que c’est pour la première fois. Je ressasse ça, mon Dieu, entre autres choses, depuis maintenant… ouais… on entre maintenant dans la dix-septième année de mon enseignement. Comme vous voyez, l’effet, enfin, est… magistral, c’est le cas de le dire ! c’est vous dire que, bien sûr, il y a des choses qui ne pénètrent pas, simplement d’être enseignées comme ça ex cathedra.

Il y a peut-être des gens qui de ce que je viens de dire ont un soupçon, de la valabilité de ce que je viens de dire. Je pense que c’est le cas en général des gens que j’ai analysé moi-même et aussi bien d’ailleurs de tous ceux qui auront passé par une véritable psychanalyse. Si la psychanalyse doit leur apprendre quelque chose, c’est évidemment, que ce qu’on recueille à la fin n’est pas de l’ordre, tenu pour sublime de l’intersubjectivité du sens. C’est une expérience d’un tout autre ordre. Ce qu’on a gagné, c’est précisément de voir que ce qu’on croyait si bien comprendre, justement, on n’y comprenait rien. Et ça ne veut pas dire pour autant qu’on a conquis autre chose qui soit entièrement caractérisé dans la note qui soit constituée par le fait de ce que l’on pourrait appeler une compréhension plus profonde. Si ce n’est ça qu’on recueille à la fin et même certainement, je dirais qu’on n’en sort pas généralement intact.

Le fait, donc, que le préjugé continue à circuler dans le discours commun est très précisément quelque chose de nature à nous faire toucher la faille qu’il peut y avoir entre le discours commun et cette expérience, cette expérience qui est celle de l’analyse et dont il semble donc, que si vous vous reportez à tout ce que je viens de dire, à mes propos précédents, naturellement j’ai beaucoup insisté sur ce… cette petite chose du seuil – parce qu’après tout je considère que c’est ce qui est le plus immédiatement à votre portée – puisque je ne suppose pas que vous soyez tous ici déjà entrés dans cette voie – du seuil et puis du résultat final que j’ai placé tout à l’heure au niveau collectif comme enfin, comme… je ne sais pas quoi, je ne sais pas quoi… qui est certainement l’objet de questions valables et que nous pouvons appeler, désigner d’un terme qui n’est pas de moi, que j’emprunte à un jeune interne, qui est venu devant moi, tâcher de me dire, enfin, ce qu’il éprouvait, lui qui était effectivement des personnes que j’ai rencontrées, des plus sensibles à ce qui constitue l’expérience qui est celle de la position du médecin qui aborde le champ du fou, la réalité du fou, la confrontation avec le fou, l’affrontement avec le fou. Je dois dire que c’est assez exceptionnel, il restait assez… assez vif, assez frais, assez neuf, à ce qu’il y a – disons le mot – d’angoisse à cette rencontre, cet affrontement – il ne lui semblait pas à lui que la psychanalyse diminuât en rien cette note de la rencontre avec le fou. Pour caractériser ce qu’il en était, enfin, de ce que l’on appelle la salle de garde, à savoir une masse collective, avec laquelle il était et le rapport de ce qui s’y passait avec la psychanalyse, il avait trouvé un mot que je trouve, ma foi, excellent et qui date tout à fait ce qu’il en est de l’effet de l’introduction de la psychanalyse dans le champ – disons depuis une trentaine d’années – dans le champ français, le résultat est une chose qu’il a appelée : un profond [et… tant] accentué passif.

En fait c’est bien frappant, c’est bien frappant que depuis un certain nombre… un certain temps qui correspond à cette trentaine d’années dont je viens de vous parler, il n’y a pas eu, dans le champ de la psychiatrie, le champ de ce rapport avec cet objet : le fou, pas eu la moindre, la moindre découverte ! Pas la plus petite modification du champ clinique, pas le moindre apport. avec tous les moyens considérablement accrus d’interrogation, enfin… qui…qu’on a en main, il est clair que tout ce qu’on a, même à un certain moment, comme ça, pu voir spécifier d’un petit épinglage de… d’anneau psychique, l’association de certains tableaux avec certains dosages, enfin… tout ça a été toujours extraordinairement fugace, au bout de deux ou trois ans personne ne parle plus du petit syndrome que tel ou tel a décrit et nous en restons avec le bel héritage du 19 e siècle qui est là constitué, intégral, n’est-ce pas… Évidemment on a ajouté un peu à ce [qu’on avait dessiné, ne parlons pas des grands noms français,] que je ne prononcerai plus, pour parler d’un autre… on a ajouté quelques détails, quelques retouches, mais dans l’ensemble… enfin, ils sont quoi, les derniers, les derniers compléments, constitués techniquement, que j’appelle des découvertes, spécification de telle entité clinique ? Eh bien, c’est Clérambault. Clérambault… Maintenant si vous allez chercher jusqu’à la plus extrême pointe, là où ça devient complètement minuscule, vous prenez cette dernière retouche : ma thèse, la Paranoïa d’autopunition. J’ajoute un petit truc, à l’emmanchure Kraepelin Clérambault. Bon et puis… depuis ? Je demande… Enfin, ça m’intéresserait d’ailleurs, peut-être que j’oublie quelque chose, quelqu’un qui ait apporté un nouveau tableau clinique ? Évidemment, tout n’est pas dans la clinique, mais enfin la clinique traduit, traduit quand même quelque chose, dans le sens de la compréhension ou de l’extension, je ne sais pas, mais assurément dans le sens de ce qui est, enfin, de ce qui devrait être la psychiatrie. Maintenant, comme vous le savez, la psychiatrie – j’ai entendu ça à la télévision – la psychiatrie rentre dans la médecine générale sur la base de ceci que la médecine générale entre elle-même entièrement dans le dynamisme pharmaceutique. Évidemment, il se produit là des choses nouvelles : on obnubile, on tempère, on interfère ou modifie… Mais on ne sait pas du tout ce qu’on modifie, ni d’ailleurs où iront ces modifications, ni même le sens qu’elles ont ; puisqu’il s’agit de sens.

Alors, est-ce à dire que… bon, [nous avons assez] de ces choses, je pense que le [test] de la chose, la référence, ce soit ce que je vous ai dit tout à l’heure, à savoir ce garçon qui paraissait se distinguer entre tous ses camarades, [de marquer], d’appeler par son nom ceci qui lui paraissait vraiment irréductible : l’angoisse. Elle était pour lui absolument coextensive de son expérience du fou. Il se croyait pas, parce qu’il était en psychanalyse, il se croyait pas moins en devoir pour autant d’aller… enfin, de faire sa visite au fou.

Est-ce que [nous allons] donner à cet [effet/son affect] d’angoisse une espèce de valeur mystique ? Non, ce n’est pas ça du tout. Le fait qu’on soit angoissé, c’est pas parce que c’est l’angoisse que c’est important. [J’parle] pas d’une expérience existentielle, [je suis là] pour la prôner, pour en faire en quelque sorte l’éloge comme d’un trait caractéristique ? Non, [je n’ai pas dit ça ce soir]. Mais enfin, à laisser de côté ce que l’angoisse a d’angoissant, j’dirais, il est quand même tout à fait décisif que pour concevoir seulement ce qu’il en est, ce qu’il en est du fou, de tenir compte de ceci, c’est que celui qui se pose en sa présence dans cette position qui est celle du psychiatre, est, qu’il le veuille ou non, concerné. Il est irréductiblement concerné ! S’il ne se sent pas concerné c’est, – c’est là quelque chose de tout à fait démontrable, tangible, sans qu’on ait besoin pour autant de faire intervenir l’expérience psychanalytique – s’il n’est pas concerné, c’est par certains procédés qui se manifestent quand on y regarde de près, de façon pas contestable, ceci qu’on soit psychanalyste ou pas, par le fait qu’il se protège de ce concernement, si vous permettez. C’est-à-dire qu’il interpose entre lui et le fou, un certain nombre de barrières protectrices, qui sont à la portée des grands patrons, il met, par exemple, d’autres personnes que soi, n’est-ce pas, qui lui fournissent des rapports… Et puis, pour ceux qui ne sont pas des grands patrons, il suffit d’avoir une petite idée, un organo-dynamisme, par exemple, ou n’importe quoi d’autre, une idée qui vous sépare de ce… de cette espèce d’être qui est en face de vous, qui est le fou, qui vous en sépare en l’épinglant, n’est-ce pas, comme une espèce, entre autres, de bizarre coléoptère, dont il s’agit de rendre compte, comme ça, dans sa donnée naturelle. Qu’est-ce que ce […] ce « concerné », ce n’est pas du tout forcément un affect ; bien sûr que ça prend la forme, la forme de l’angoisse, comme je disais tout à l’heure […] l’angoisse n’est pas un affect si simple que ça, en tant qu’affect. La preuve que… le mal qu’on se donne pour en rendre compte : « peur sans objet », par exemple, qu’on dit ; le seul fait qu’on précise « sans objet », montre bien qu’il y a autre chose là que la dimension affective, on éprouve le besoin de mentionner que là, on s’attendrait à un objet, un objet qui n’est pas simplement quelque chose qui vous remue là-bas quelque part dans les tripes. C’est un certain rapport, c’est un rapport avec un objet absent… vous voyez ? bon… enfin, laissons ça de côté. La question n’est pas là. Ce que je […] simplement pour vous préciser que je parle de ce rapport du psychiatre en tant qu’il est concerné avec le fou, ça n’est pas pour porter les choses sur le plan de l’affectif, de l’élan, de je ne sais quoi qui irait à forcer cette difficulté, cette difficulté de rapport.

Il est évident que ce n’est pas du côté de l’élan généreux que j’indiquais la solution, d’ailleurs, pour en revenir au personnage exemplaire dont je parlais tout à l’heure, ce n’était certainement pas non plus, pour lui, dans ce sens que… que s’aiguillait, quoiqu’on dise, enfin, l’impression, la chose unique qui semblait être pour lui à retenir dans ce rapport qui lui semblait, du fait de son destin, avoir ce caractère tout à fait privilégié. Donc, ce que je suis en train de vous dire, ça ne veut pas dire que, ce fou, enfin… quel qu’il soit, vous allez lui donner le sein, comme ça, tout d’un coup, comme Rosen, comme Mme Sechehaye. Vous allez pas lui donner le sein d’abord parce qu’il vous le demande pas. C’est même peut-être ce qu’il y a de plus troublant justement c’est qu’il ne vous le demande pas. Bref, si la question du fou peut s’éclairer par la psychanalyse, ben, ça serait évidemment à partir d’abord d’un autre centrement [c’est/de] ce qu’on appelle rapport premier. [Vous voyez peut-être ce que je dis].

Ce centrement, j’essayerai de vous faire sentir pourquoi tout à l’heure, tout à l’heure pourquoi, euh… ben, il n’est pas du tout donné, comme ça, par tout ce qui se dit, par tout ce qu’on dit, par tout ce qui se rapporte, par tout ce qui se ramène, au sujet de la psychanalyse ; et pourtant il y est inclus et il est tout à fait aussi difficile d’y accéder après avoir beaucoup entendu parler de psychanalyse, car la chose curieuse, c’est que le fait d’y avoir accès dans le courant de la psychanalyse ne laisse pas moins intouché qu’avant une espèce de monde de préjugés. On revient dans le discours commun qui s’oppose à ce recentrement. Ce recentrement, [je l’ai manifestement exprimé d’une façon…].Enfin…

Il nous est commandé de repenser – comme on s’exprime – quelque chose qui dans l’occasion n’est pas mince, puisque c’est la pensée elle-même ! Il nous est demandé de repenser la pensée et… ça ne se fait pas tout seul. à la vérité, après que ça ait beaucoup étonné le monde qu’il y ait de la pensée inconsciente, ça a provoqué vraiment une espèce de blocage général, pendant dix ans, vingt ans et même plus tard.

Au début de mon internat, il y avait encore un homme d’esprit qui s’appelait Charles Blondel, qui avait articulé des choses, justement sur la conscience morbide et pour lequel c’était un argument de dire que la pensée et la conscience c’est forcément de la même dimension et, par conséquent, que l’inconscient avec des pensées dedans, c’était impensable. Ouais…

Depuis, on a fait beaucoup de progrès. Personne ne pensant plus à ce que c’est que la conscience, ni non plus d’ailleurs à ce que c’est que la pensée, les choses sont devenues naturellement plus facile, surtout qu’il y a tellement de bruit ! Hein ? Il y a les existentialistes, il y a les phénoménologistes, il y a les… les… les philologistes, il y a les structuralistes maintenant ; alors tout ça… tous ces discours se superposant bien, en quelque sorte tous entretenus pour votre formation, n’est-ce pas, vous êtes radicalement formés à tout, c’est-à-dire que quoi qu’on puisse vous dire, ça vous fait en somme à peu près le même effet, à savoir que tout ça c’est du baratin. alors, il n’y a plus d’objection à l’inconscient, l’inconscient c’est de la pensée, oui, tout le monde le sait, et qu’est-ce que ça peut faire ! n’est-ce pas ? alors…

Je dois vous dire que la formation […] de ces discours bien construits, j’crois pas que c’est en les laissant faire en vous, comme ça, une espèce de turn, n’est-ce pas, de cirque… tous ces discours, l’un après l’autre, chacun fonctionne, l’un courant après l’autre, j’crois pas que ça soit d’aucune façon ça, qui puisse avoir un rôle de formation.

À la vérité, un p’tit fil, hein ! que vous trouveriez tout seuls, dans ce rapport de concernement avec cette chose vraiment unique, problématique, qui vous est donnée, je ne dirais pas sous le titre de fou, parce que ce n’est pas un titre… un fou, c’est quand même quelque chose… ça résiste, voyez-vous, et qui n’est pas encore près de s’évanouir simplement en raison de la diffusion du traitement pharmacodynamique. Si vous aviez un p’tit fil, quel qu’il soit, ça vaudrait mieux que n’importe quoi, d’autant plus que ça vous mènerait quand même nécessairement à ce dont il s’agit.

Pour moi, le p’tit fil, ça a été ceci – j’étais pas un gros malin – c’est cette chose qui s’articule comme ça, c’est : l’inconscient est structuré comme un langage. J’aurais pu partir d’un autre point, mais celui-là m’est apparu sérieux. Ou l’inconscient ne veut rien dire du tout, ou dès qu’il nous est présenté […] je veux dire non pas […] mais en l’interrogeant lui-même comme – psychanalyste, c’est au titre de ceci qu’il est un langage, avec un certain nombre de propriétés qui n’existent que dans la dimension du langage : la traduction par exemple.

Alors… évidemment ceci ne va pas de soi, que si à ce propos, de cette expérience et de ce petit fil que ça accroche, on en tire, après un certain nombre de questions, ce qui veut dire un certain nombre de réponses – et en particulier sur ceci : qu’est-ce que c’est qu’un langage ? Parce que si, comme ça, de première approximation, c’est impossible d’écarter ça : le langage y est là : c’est même ce qui domine, c’est la plus belle occasion de se demander… quand j’ai commencé avec ce petit fil on n’en était pas encore, j’vous prie de le croire – vous l’oubliez parce que d’abord vous êtes nés d’hier, vous ne savez pas – on n’en était pas encore à ce que tout le monde parle de linguistique et Dieu sait comment, dans la confusion la plus totale ! Parce que la diffusion des idées c’est pas ça qui éclaircit l’esprit, qui conditionne pour autant les lumières. Enfin, pour l’instant, il n’y a personne dans la bouche duquel vous ne voyiez traîner, enfin, ces termes de « signifiant », de « signifié », de « communication », de « message »…on marche avec ça, on n’a plus d’autres semelles ; quand on fait de la physiologie on considère que la thyroïde envoie un message à l’hypophyse… on appelle ça un message… Je veux bien, c’est une question de définition. Il s’agit de savoir si c’est un langage. Ce qui est très difficile c’est qu’à partir du moment où vous mettez le mot « message », c’est difficile de ne pas imaginer que l’hypophyse le reçoit !… et y répond ! On parle aussi de message plus ou moins à propos de je ne sais quel objet que vous découvrez dans le ciel. On traduit en terme de message le fait que simplement vous le voyez, ça envoie des photos… en message !

ça c’est vous dire que ceci serait du jeu tout à fait innocent, n’est-ce pas, si justement le langage n’y était pas intéressé et premièrement d’une certaine façon, c’est qu’il devient de plus en plus difficile de parler du langage à cause de tout ce grand brouhaha qui monopolise les mots qui pourraient servir à accrocher les choses dans ce domaine assez complexe et qui sont déjà tellement diffus partout, qu’à la vérité, enfin, une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Enfin… moi j’suis un des responsifs, hein, de cette espèce de grande confusion dans laquelle nous nageons pour l’instant ; parce que j’ai commencé, moi, à parler de langage il y a dix-sept ans. À ce moment nous étions dans la fleur de… de la morale en situation, l’engagement… enfin… vous connaissez… d’autres conneries, quoi !

Enfin, quand même, il y a des gens qui s’occupent du langage. Et moi, ce que je trouve le plus encourageant c’est que… c’est que dans ceux qui s’occupent vraiment de langage, on emploie le langage dans le même sens que je me suis trouvé en avoir développé les dimensions, à savoir ce que ça voulait dire – dans mon discours. Là où on sait de quoi on parle : premièrement tout le monde s’aperçoit qu’un langage n’est pas fait de signes. Ce qui veut dire qu’un langage n’a pas de rapport direct aux choses. Un signe, pour le définir d’une façon claire et simple, je le fais comme je crois sans que personne ne le conteste, c’est ce qui représente quelque chose justement et qui représente pour quelqu’un. Un langage ça ne sert pas à ça, c’est pas fait de signes, ça peut s’étudier. La fonction du signe, c’est même très important comme toujours, même parfaitement important, en plus il n’y a aucun besoin, d’ailleurs, comme on l’a vu jusqu’ici depuis le temps qu’il y a une sémiotique médicale, jamais personne ne s’était le moindrement du monde intéressé au langage.

Ce qui trouble, bien sûr, c’est que le langage a en général une signification, c’est-à-dire qu’il engendre du signifié. C’est justement pour ça qu’on s’est aperçu que le rapport que peut avoir le langage, éventuel, aux choses, est un rapport tiers, ternaire, et qu’il faut distinguer le signifiant, le signifié et éventuellement le référent qui n’est pas toujours facile à trouver, pas plus d’ailleurs que le signifié n’est facile à cerner. C’est pourtant là que se joue le jeu du flou des choses, à savoir ce qui fait que, par exemple, un langage est ou n’est pas adéquat. Un langage plutôt que d’être signe des choses, nous dirons plutôt quelque chose, pour ceux qui n’auraient jamais entendu dire enfin, naturellement ce dont j’ai donné, enfin… l’énonciation beaucoup élaborée, nous dirons, n’est-ce pas, pour nous faire entendre aujourd’hui, que sa fonction c’est… de faire le tour, non pas des choses, hein ? de la chose. En tout cas c’est bien sensible pour nous quand il s’agit de l’expérience analytique. La chose, que j’ai appelée un jour la Chose Freudienne, qui est là au cœur et qu’on ne touche pas facilement, en tout cas je vous l’assure, qu’on ne vient jamais à comprendre – le langage la cerne, la chose. Et la chose, que même, si vous voulez, j’écrirais comme ça : [Lacan écrit au tableau : l’achose] pour bien indiquer qu’elle ne se distingue pas là par sa présence.

Et puis, le langage est quelque chose de tout à fait nécessaire. Je parle naturellement du premier débroussaillage, une chose tout à fait nécessaire… En tout cas pour que vous compreniez mon p’tit fil : l’inconscient est structuré comme un langage ; c’est que le langage, tout le monde le sait, enfin, on vit là-dedans, seulement c’est assez curieux, c’est très curieux même, quand on parle du langage spécialement, on se croit toujours obligé d’aller à ce qui est exactement le contraire de l’expérience la plus commune : le langage n’est pas fait pour la communication. La preuve, elle est à notre portée à tout instant ; vous devez quand même vous apercevoir, quand vous êtes avec votre conjoint ou votre conjointe par exemple, que quand vous commencez à être forcés d’expliquer les choses, premièrement c’est non seulement que ça va mal, mais deuxièmement c’est sans espoir ! Et plus vous en mettrez et moins on communiquera… enfin… (rires dans la salle) c’est tuant ! (rires). Ca fait tout de même dix-sept ans que je me suis forcé d’rapport… de recommencer toujours les mêmes choses, d’ailleurs avec le même résultat, n’est-ce pas, qui est vraiment formidable, à savoir que si ça vous amuse un instant, si vous trouvez que, bien sûr, ce sont des jeux d’esprit, n’est-ce pas – j’intellectualise, paraît-il – ouais…une scène de ménage par exemple, en effet, voilà un procédé d’intellectualisation qui est bien connu (rires) je vous en informe.

Alors à quoi ça sert le langage ?

S’il n’est ni fait pour signifier les choses expressément, je veux dire que c’est pas du tout sa première destination, et si la communication non plus ?

Eh bien c’est simple, c’est simple et c’est capital : il fait le sujet. Ca suffit bougrement. Parce qu’autrement, je vous le demande, comment vous pouvez justifier l’existence au monde de ce qu’on appelle le sujet.

Alors, est-ce qu’on peut se comprendre ? La réponse est tout à fait accessible : on se comprend en é-chan-geant ce que fabrique le langage.

N’est-ce pas clair que, la communication… à savoir ceci, qu’on imaginerait que quand vous dites une phrase, ça représente un message, et que de l’autre côté, la phrase, c’est la même que celle que vous avez prononcée… à la vérité, c’est pas celle que vous avez prononcée qui est importante, c’est celle qui est de l’autre côté, bien sûr. C’est justement pour ça que vous ne savez pas ce que vous avez dit. Il est capital que vous le sachiez : que chaque fois que vous parlez, au moins à quelqu’un d’autre, vous ne savez pas ce que vous dites, quand vous êtes tout seul, encore moins.

Mais le résultat du langage c’est quand même que quelque chose arrive dès qu’on a trouvé ce sacré médium, quelque chose arrive, quelquefois chez l’autre, à la vérité toujours chez l’autre, et de ce fait il vous en revient toujours des retours de bâton. Et c’est même comme ça que ce qui s’appelle l’être humain en a la première expérience : on s’aperçoit qu’il arrive des choses quand on parle. Ces choses peuvent très bien être cernées en elles-mêmes, c’est même ce dont je m’efforce d’écrire, depuis les 17 années que j’ai suffisamment évoquées, la théorie.

Ce que fabrique le langage, par exemple, c’est le désir, hein ! Le désir, après tout, c’est pas quelque chose… qui soit… qui soit très connu. Parmi les philosophes on a toujours plutôt considéré que c’était l’objet à écarter pour parvenir à ce qu’on appelle la connaissance : la connaissance est troublée, soi-disant par le désir… d’ailleurs c’est vrai. Seulement ça tient à ce qu’on croyait à la connaissance ! Je ne veux pas entrer dans le détail de tout ça, faire le… un dessin sur ce qui distingue ce qui a prévalu pendant des siècles concernant la fonction de la connaissance, avec les positions bien différentes qui sont celles que nous devons adopter maintenant, du fait d’avoir créé une science qui ne doit absolument rien aux catégories de la connaissance et qui ne s’en porte pas plus mal ; nous, peut-être nous nous en portons plus mal ; mais c’est pas ça qui est la question. C’est que la science fonctionne et… une foule de dimensions que suscitait, que suggérait cette [psychologie] de la connaissance sont parfaitement périmées et hors de jeu.

Ce qu’il y a d’intéressant, c’est qu’à considérer comme étant absolument coextensif au registre de plus en plus élaboré de la science, ce que j’ai appelé tout à l’heure le sujet, on peut arriver à donner une théorie complètement différente, complètement distincte et tout autrement maniable de ce qu’il en est à proprement parler du désir que tout ce qui s’est fait jusqu’à présent. Et on a même, à l’occasion, le bonheur de s’apercevoir qu’il y avait eu de ça, enfin, chez quelques très rares gens, parmi les philosophants du passé, je ne sais quoi qui pourrait s’en appeler un pressentiment. C’est à Spinoza que je pense. Quoi qu’il en soit, cette théorie, comme chacun sait, ou croit savoir, je l’ai donnée, je l’ai affinée même pendant des années, je suis bien sûr loin de penser que j’en ai donné la formulation définitive, mais il y a dans ce que j’en ai énoncé quelque chose qui me parait assez prometteur, c’est que, il y a là, de par mes soins, un tout petit commencement de formalisation. à savoir quelque chose qui peut s’exprimer par ce qu’il y a de plus pur et de plus maniable dans la fonction comme telle du signifiant, à savoir un maniement de petites lettres. C’est d’une certaine façon de manier ces petites lettres et de les mettre entre elles dans des connexions définies qu’est fondée cette théorie du désir, en quoi elle laisse l’espoir d’un développement ultérieur beaucoup plus précis pour peu qu’on y mette cette sorte de capacité mentale qui relève de la combinatoire.

Car évidemment ceci suppose la simple reconnaissance – de ce qui n’est pas donné de la façon la plus commune dans la formation que vous recevez comme médecins, qui est une formation qu’on peut qualifier de positiviste. C’est ceci qui ne vous est pas rendu familier faute d’avoir une véritable formation mathématique qui ne soit pas simplement un instrument à usage des connaissances sur les choses en tant qu’elles sont des choses, des étants. C’est ceci, qui est parfaitement rendu sensible par un certain usage de la mathématique mais qui n’est pas son privilège, c’est que par elle-même la combinaison des signifiants constitue un ordre, un registre, que vous pouvez qualifier comme vous voulez, vous pouvez en faire un jeu ; néanmoins, c’est même un jeu si sérieux que c’est ça qui constitue justement le sérieux du jeu. Ce qu’il y a de drôle dans le jeu c’est que c’est une des choses les plus soumises à des lois qui soient qu’il n’y a pas de jeu qui ne consiste en une certaine rigueur […] justement faite et qui existe toujours, à savoir : une combinatoire entre des signifiants ; des signifiants en tant que ce ne sont pas des signes, mais que le signifiant que j’ai défini très précisément en cette formule qui après tout mérite que je l’aie un tant soit peu serinée, ne serait-ce que parce qu’on peut dire que personne ne l’a donnée avant moi, c’est qu’un signifiant est ce qui représente un sujet, pour qui ? justement pas « pour qui », pour un autre signifiant.

ça peut vous paraître opaque, peu compréhensible, mais comme je viens de vous en avertir je m’en fous, parce que c’est pas fait pour que vous le compreniez, c’est fait pour que vous vous en serviez… et que vous voyiez que ça marche toujours, et non seulement que ça marche toujours, mais que ça commence à [rendre] à partir de là. Ceci veut dire deux choses : premièrement que le signifiant ne prend son statut que là et ensuite que de sa relation à l’autre signifiant qui inaugure la dimension de la batterie signifiante, ce qui commence à poser des questions, cette batterie est-elle finie ou infinie, et là, évidemment on peut continuer, à savoir [ce qu’infini veut dire] et que d’autre part le signifiant est antérieur au sujet, que pour qu’apparaisse cette fonction en tant qu’elle est définie par un sujet, qu’elle est distincte de ce qu’on peut appeler par exemple psychisme, connaissance, représentation, qu’elle est tout à fait distincte de tout ça, car c’est une dimension de l’être… : il y a du sujet seulement et uniquement après qu’il y ait eu du signifiant.

Maintenant, la question de savoir comment le signifiant apparaît avant qu’apparaisse ce qui est à proprement parler le sujet on peut aussi y répondre. C’est précisément, pour y donner une réponse formelle, que j’ai introduit ce champ, cette dimension de l’Autre (avec un grand A) comme place, et lieu du signifiant. Cet Autre avec un grand A, bien sûr, vous allez me demander où est-ce qu’il est, hein ? Est-ce que c’est l’espace commun ? Est-ce que c’est l’oreille du voisin ? Est-ce que c’est ceci ou cela… c’est ne rien comprendre à ce en quoi consiste un système formaliste. Cet Autre est précisément un lieu défini comme nécessaire à cette primarité de la chaîne signifiante.

Au départ se trouve ainsi, puisqu’il y a avant le sujet introduite la dimension que nous appellerons celle de la vérité car il n’y a de dimension de la vérité qu’à partir du moment où il y a du signifiant.

Il n’y a ni vérité, ni mensonge, dans la feinte par exemple, ou la parade animale, pour la simple raison qu’elles sont exactement ce qu’elles sont, ni menteuses ni vraies ; elles répondent à cet effet de captation [réduit], c’est en ça qu’elles ne sont pas du registre du signifiant. Le signifiant c’est autre chose.

C’est à partir du moment où il a engendré le sujet et où il s’inscrit quelque part à ce niveau de l’Autre, que la dimension de quelque chose qui se propose toujours comme une vérité, même quand c’est un mensonge – car ce ne serait pas un mensonge si ça ne se proposait pas comme une vérité – qu’il y a cette dimension du signifiant, observez ceci que l’Autre en aucun cas n’est garant de la vérité. Puisque l’Autre en lui-même rien ne nous dit qu’il est un sujet. Il y a des gens qui disent qu’il est un sujet, qui l’appellent Dieu, avec divers qualificatifs : bon Dieu, méchant Dieu… ça c’est une autre affaire, c’est un autre pas à franchir. Nous n’avons aucun besoin de le franchir pour donner la théorie du langage.

L’expérience/de l’analyse/n’est rien d’autre/que/de réaliser/ce qu’il en est/de cette fonction, comme telle, du sujet. Il se trouve/que ça ouvre/à certain effet/qui nous montre/que dans ce qui est primordialement intéressé de cette fonction du signifiant, prédomine/une difficulté, une faille, un trou, un manque, /de cette opération signifiante,/qui est très précisément liée/à l’aveu, l’articulation/du sujet/en tant/qu’il s’affecte d’un sexe. C’est parce que le signifiant/se montre manifester/des défaillances électives/à ce moment où il s’agit que ce qui dit Je/se dise,/comme mâle ou comme femelle/qu’il se trouve qu’il ne peut pas dire ça sans que ça entraîne le surgissement au niveau du désir de quelque chose de bien étrange, de quelque chose qui représente ni plus ni moins que l’escamotage symbolique – entendez qu’on ne le trouve plus à sa place – l’escamotage d’une chose tout à fait singulière qui est très précisément l’organe de la copulation. À savoir ce qui dans le Réel est le mieux destiné à faire la preuve de ce qu’il y en a un qui est mâle et l’autre qui est femelle, hein ? [C’est encore…].

C’est ça, c’est ça la grande trouvaille de la psychanalyse, c’est une trouvaille qui n’a pu strictement être faite que d’y être faite d’une façon qui lui donne un sens, c’est le cas de le dire, qui lui donne un sens recevable, au niveau d’autre chose que de ce que Spinoza, puisque j’en ai parlé tout à l’heure il faut que j’en reparle maintenant, appelait des historiolae, des petites histoires, hein ? c’est parce que papa ou maman lui ont fait peur qu’il croit à ça, enfin… des tas de choses qui ne tiennent pas debout. Ce qui s’appelle la castration c’est ça, c’est que pour que vienne à s’articuler en fonction du signifiant – du signifiant en tant qu’il est primordial au sujet – pour que vienne à s’articuler quelque chose qui porte le sujet sur le plan sexuel, il faut qu’il y intervienne ceci que, en tant que […] du signifiant, que ce soit comme manquant que soit représenté l’organe, précisément de la copulation.

Cela mérite un tout petit peu qu’on y fasse attention, car ceci – c’est le fait de l’expérience poursuivie d’une façon correcte, à savoir qu’on ait poursuivi l’expérience analytique – rend compte du fait que, quoiqu’on en dise, ce n’est purement et simplement qu’une expérience menée à l’aide et à l’intérieur du médium signifiant – que tout ce qu’on peut y ajouter de plus, de ce qui s’appelle, en effet, effets psychiques, à savoir : réaction, défense, résistance, tout ce que vous voudrez, affect, transfert, tout ça ne prend son sens que si nous arrivons à y pointer, [à débrouiller], à l’épingler dans le registre d’une formalisation qui prend pour départ et pour base la primordialité par rapport au sujet de la chaîne signifiante.

Il est évident que ce n’est pas ce soir que je vous en ferai la démonstration, mais si jamais ce que j’ai dit a une portée quelconque, il est en tout cas certain, clair, que je ne dis pas autre chose, que je ne fais pas autre chose que de poursuivre la construction qui s’y rapporte depuis exactement les dix-sept ans dont je vous parlais tout à l’heure.

Que ce que laisse la fin de l’expérience analytique ne soit pas autre chose que d’avoir à son terme une […] du fait de cette expérience, qui vous permet de savoir ce que c’est que de vous mettre vous-même à cette place du sujet, dans cette dépendance très spéciale du signifiant, qui fait que tel ou tel énoncé qui s’en déduit, par exemple de la valabilité de cette formule que j’énonce : votre désir ne se conçoit, ne prend sa place juste, ne s’anime qu’à ce que vous ayez effectivement aperçu qu’il s’est formé dans ce lieu que j’ai appelé tout à l’heure le lieu de l’Autre, avec un grand A, qu’il est de sa nature et de sa fonction désir de l’Autre et que ceci est précisément la raison qui fait que vous ne pouvez en aucun cas le reconnaître tout seul et c’est ce qui justifie que l’analyse, vous n’ayez pu la poursuivre qu’avec l’aide d’un analyste, ce qui ne veut pas dire que l’analyste soit l’Autre, avec un grand A, dont j’ai parlé tout de suite, il est bien autre chose que je ne peux pas vous expliquer ce soir.

Enfin pour ceux qui en auraient vaguement, comme ça, enfin quand même, une petite idée, je veux dire que le propos [d’arrêt] paradoxal que je pousse devant vous ce soir aurait quand même suffisamment chatouillé pour qu’ils aient envie d’en savoir un peu plus, je peux vous dire que c’est cette année ce que je donnerais pour sujet à mon séminaire, j’essayerais d’y préciser d’une façon telle que je n’ai pas encore pu le faire – parce qu’il y a beaucoup de choses que je n’ai pas encore pu faire, parce qu’on ne peut même pas imaginer à quel point dans mon enseignement je suis didactique, je veux dire par là que je pars de l’idée que… qu’il est en tout cas bien certain qu’on ne comprend rien à ce que je dis. Ma seule chance c’est de le répéter assez longtemps pour que ça finisse par meubler quelque part des cervelles. Il n’y a pas à s’étonner bien sûr que pendant un certain temps on ne trouve pas mieux à faire que de me répéter, vaguement. Pour certains d’ailleurs ça a un autre usage : on peut toujours développer – et justement parce que ce que je formule est si incompréhensible – autour de ce que j’enseigne, un certain snobisme. alors quand on est distingué, comme ça, on enseigne Lacan, à l’Institut de Psychanalyse de Paris par exemple, ça fait distingué ; seulement ça ne veut pas dire qu’on comprenne ce que je dis, d’ailleurs comme je suis en train de vous le dire c’est pas fait pour ça, c’est fait pour qu’on s’en serve et, avec le temps, il finira bien par arriver ceci qui arrive toujours quand des formules fonctionnent, c’est qu’on finit par s’en servir, tout bêtement. alors on s’aperçoit que ça éclaire quelques perspectives, aucun besoin qu’on ait à ressentir auparavant le choc intuitif de la vérité.

Ceci ne veut pas dire pourtant que la vérité ne soit pas intéressée dans la chose… la vérité est intéressée justement en ceci qu’il apparaît dans tout cette affaire ce quelque chose d’inattendu dont je vous ai parlé tout a l’heure à savoir l’intrusion véritablement incroyable, enfin… obscène, déplacée, pas à sa place du tout, justement, de la sexualité, là où on l’attendait le moins. Car en fin de compte il faut bien le dire, c’est pas parce que nous savons maintenant, bien sûr, qu’elle est là, que nous en savons plus ! Car il ne suffit pas d’appeler ça non plus la sexualité. Tout à l’heure j’ai essayé de vous en donner une formule plus précise en vous disant que c’était l’aveu du sujet comme affecté d’un sexe qui était concerné. C’est pas vaguement la sexualité, comme ça, c’est pas tout ce qu’on peut savoir sur la sexualité ; la preuve, c’est que tout ce que l’on peut savoir sur la sexualité – on en a fait des pas depuis Freud à ce sujet – on en a fait des expériences et on en sait un tout petit peu plus maintenant sur ce que c’est… je ne sais pas… par exemple que le chromosome sexuel… à quoi ça nous sert en psychanalyse ? Eh bien à rien du tout ! C’est pas la sexualité comme ça dans son ensemble, dans son essence, comme si d’ailleurs ça existait quelque part… ça n’a aucun sens la sexualité. Il y a des faits biologiques qui se rapportent au fait qu’il y a des choses qu’on qualifie généralement de sexuelles et puis quand on y regarde de près, on voit qu’il y a un tas d’étages et que ces étages ne se recouvrent pas. Et que si à prendre les choses au niveau, par exemple, hormonal ou des caractères dits sexuels secondaires, on voit bien que la répartition, le jeu des choses, n’est pas la même chose que si vous le prenez au niveau des fonctions cellulaires ; alors ne parlons pas de la sexualité comme ça, comme si c’était une vague et grande chose… non, il y a quelque chose qui se produit pour le sujet à ce niveau là. Et ça peut bien prendre… étant donné que ça vient là où on ne l’attend pas et qu’en tout cas il y a une chose bien certaine c’est très justement que ça résiste et que ça résiste même tellement bien que quoi qu’on en pense, loin que nous soyons vraiment habitués à ce que Freud a découvert, à savoir que la sexualité était dans le coup, nous nous y retrouvons toujours de la façon la plus énergique, et pour une simple raison, c’est que c’est au niveau, là, juste où je le place, à savoir de cette, en quelque sorte, déclaration de sexe que se placent les choses ; il y a en effet vraiment là quelque chose qui parait tellement opaque et pour tout dire en effet incompréhensible, que nous nous réfugions vers toute espèce d’autre idée de la sexualité, nous faisons entrer en jeu la sexualité comme émotion, comme instinct, comme affect, comme attrait, toutes sortes de choses qui n’ont absolument rien à faire dans la question. Tout, plutôt que de chercher à comprendre ce dont il s’agit au niveau de ce que j’appellerais de l’acte sexuel, l’acte étant une chose conçue, comme ayant essentiellement en elle-même cette dimension de signifiant.

Il ne s’agit pas simplement de savoir ce qu’on fait et comment on opère, il s’agit de s’apercevoir que ce qui fait difficulté, c’est qu’on entre dans l’acte sexuel pour s’avérer tel ou tel, mâle ou femelle par exemple.

C’est de l’acte que les difficultés commencent, c’est en tant que l’acte est signifiant et que comme signifiant il rate. D’où ma remarque qu’en définitive quoi que vous fassiez, messieurs-dames, vous ne serez jamais absolument sûrs d’être mâles ou d’être femelles. ça, ça c’est la chose…

Bon, enfin, je sens que ce soir je me suis laissé un tout petit peu entraîner… Ce que je voudrais vous dire c’est que cette fin, cette pointe, ce sommet de l’expérience psychanalytique se caractérise en ceci qu’elle est précaire. Je veux dire qu’il ne suffit pas d’avoir eu à un moment cette expérience qui est celle du sujet en tant qu’il est déterminé par tout ce qui lui a préexisté de signifiant. Bien entendu, c’est dans la mesure où ces signifiants lui sont d’autant plus proches pour avoir été ceux qui ont constitué ce dont il surgit un jour, même si c’est par hasard, à savoir le désir de ses parents. Car, même si c’est par hasard, c’est tout de même là qu’il est venu choir ; à savoir que tout ce qui lui arrive – au moins au départ – va dépendre de cette place qui s’appelle, chez ses parents, le désir, déjà qui se manifeste dans son existence – et prenons le mot existence dans tous les sens que vous voudrez lui donner, aussi bien existentialiste – [existence] de l’Autre, de cet Autre qui est là incarné par le rapport aussi de ses parents toujours à cet Autre comme lieu du signifiant, que c’est là qu’il vient choir, il ne se peut pas que [cela n’ait pas] sur tout ce qui va lui arriver une fonction déterminante.

Je voudrais revenir aux psychiatres, leur donner avec mon algèbre… – je serais désolé si elle ne vous paraît pas immédiatement frappante, mais enfin, c’est une formule de politesse – je n’ai pas le temps de vous l’écrire autrement, mais je pense que ça vous donnera par contre une petite idée des modes simples sous lesquels ça peut exprimer certaines choses pour ne pas être confondues avec d’autres ensuite. [Lacan va au tableau].

Je vous ai parlé tout à l’heure de l’organe, organe copulatoire en tant qu’il manque – c’est parce que j’ai été… enfin… je vous ai indiqué ce que ça voulait dire, l’ordre de vérité que permet de découvrir d’avoir pris le bon départ… Enfin il y a d’autres choses qui arrivent à cette place où l’organe manque, il y a même d’autres choses qui se placent, expressément faites pour faire qu’on ne s’aperçoive pas qu’il manque. C’est ce que j’ai appelé, dans mon algèbre, l’objet a . Tous ceux qui ont quand même une vague teinture ici de ce que c’est que la psychanalyse doivent tout de même savoir le rapport d’homotopie, d’à-la-même-place, qu’il peut y avoir entre la castration d’une part et la fonction que jouent éventuellement un certain nombre d’objets. C’est même au point qu’on parle couramment de castration anale, orale et de tout ce qui s’en suit. Je ne vais pas ici là-dessus faire un cours. Quoi qu’il en soit cet objet a , c’est la formule générale de ce qui se manifeste de façon absolument décisive et causale dans la détermination précisément de ce que la découverte de l’inconscient nous a permis d’apercevoir a savoir : la division du sujet.

Ce sujet n’est pas simplement comme dans la théorie mathématique par exemple où une suite de chaînes signifiantes ne fait que se transmettre d’un bout à l’autre un seul et univoque sujet, d’ailleurs impossible à localiser sous aucun des signifiants dont il s’agit. Or certes, il se produit quelque chose d’autre du… de la fonction, de l’effet de langage dans toute sa généralité, qui est étroitement lié à ce qui est son premier effet, à savoir une certaine participation du corps en tant que réel. Étroitement lié au fait que le sujet joue précisément sur ce double registre qui fait que si nous pouvons épurer le sujet de la science, le sujet d’une chaîne mathématique, comme quelque chose de simple et d’univoque, nous ne pouvons pas le faire dans le cas où l’être parlant est un être vivant, pour la simple raison que quelque chose reste enchaîné précisément à cette origine, à savoir à cette dépendance première de la chaîne signifiante, qu’il n’y est pas maniable à son gré, qu’il y reste fixé en certains points ; que même certaines données de l’expérience et celle parmi les plus évidentes, celle par exemple que sa mère n’a pas de pénis, n’est pas une chose qui fonctionne pour une partie du sujet, pour cette partie divisée, pour la raison très simple que pour cette partie il faut non pas qu’elle ne l’ait pas, mais qu’elle en ait été privée. Voilà ce que désigne le S barré, S c’est le sujet en tant que divisé, qui est dans un certain rapport avec l’objet a . Cet objet a , a pour propriété d’être ce qui fait le désir, en tant que le désir est ce qui est supporté par ceci qui est la formule du fantasme. Si ce désir dépend du désir du grand Autre, à savoir ce qui est formalisable au niveau du grand Autre comme effet du désir, c’est dans la mesure où – alors ceci… je fais une réserve, c’est parce que je suis devant vous ce soir et que je vous suppose, enfin, concernant ce que je vous dis, que je répète depuis des temps et des temps, complètement dans les vapes – alors ici j’inscris ce que je n’ai jamais inscrit nulle part, mais que je fais là pour empêcher que ça file : demande de petit a . Je le mets ainsi parce que j’ai mes raisons pour ça, parce que c’est trop simple. Mais pour ce soir ça peut suffire. Ce qui fait le lien du désir en tant qu’il est fonction du sujet, du sujet lui-même désigné comme effet du signifiant, c’est ceci, c’est que le a est toujours demandé à l’Autre. C’est la vrai nature du lien qui existe [pour] cet être que nous appelons normé.

Bon, alors, pour vous expliquer les choses simplement, il y a des hommes libres, et comme je l’ai dit depuis toujours, car je l’ai écrit au Congrès de Bonneval bien avant les dix-sept ans dont il s’agit – vous ne pouvez pas même imaginer à quel point je suis vieux – les hommes libres, les vrais, ce sont précisément les fous. Il n’y a pas de demande du petit a , son petit a il le tient, c’est ce qu’il appelle ses voix, par exemple. Et ce pourquoi vous êtes en sa présence à juste titre angoissés c’est parce que le fou c’est l’homme libre.

Il ne tient pas au lieu de l’Autre, du grand Autre, par l’objet a , le a il l’a à sa disposition. Le fou est véritablement l’être libre. Le fou, en ce sens, c’est d’une certaine façon cet être d’irréalité, cette chose absurde, absurde… d’ailleurs magnifique comme tout ce qui est absurde. Le bon Dieu des philosophes on l’a appelé « causa sui », cause de soi, lui, disons qu’il a sa cause dans sa poche, c’est pour ça qu’il est un fou ; c’est pour ça que vous avez devant lui un sentiment bien particulier qui est ce qui devrait, chez nous, constituer le progrès – progrès capital – qui pourrait résulter du fait que quelqu’un de psychanalysé s’occupe un jour vraiment du fou. C’est un fait que de temps en temps, ça donne quelque chose qui ressemble à de la psychanalyse, à de premiers succès, hein ! ça ne va pas très loin. ça ne vas pas très loin pourquoi ? Parce que, je vous le dis : cette expérience de la psychanalyse est une expérience précaire. Elle est précaire pourquoi ? parce qu’il y a le psychiatre ; c’est que quand vous sortez d’une psychanalyse dite didactique vous reprenez la position psychiatrique.

La position psychiatrique est parfaitement définissable historiquement. Il y a un monsieur qui s’appelle Michel Foucault et qui a écrit l’ Histoire de la folie  ; il explique, il met en valeur [à ce moment précis le bouchon en plastique d’une bouteille d’eau minérale saute en l’air] il démontre magnifiquement… [rires] (vous voyez c’est un signe ça !) il démontre magnifiquement… [rires] (c’est beau hein c’est ce qui s’appelle la chaleur communicative, hein ! bon) il démontre magnifiquement la mutation, la mutation essentielle, qui résulte du moment où ces fous – avec lesquels, enfin, on en avait agi jusque là, mon Dieu, comme on avait pu… en fonction de toutes sortes de registres et principalement les registres du Sacré – tous ces fous ont été traités, ont été traités de la façon qu’on appelle humanitaire, à savoir : enfermés. Cette opération… n’est pas du tout dépourvue d’intérêt… du point de vue de l’histoire de l’esprit… car c’est ça précisément qui nous a permis de mettre au moins en question que quelque chose existât qu’on puisse appeler des symptômes. On ne commence à avoir l’idée de symptôme qu’a partir du moment où le fou est isolé…

Naturellement, ce livre absolument capital de Michel Foucault a eu ce succès on peut dire vraiment remarquable, qu’il n’y a pas un seul psychiatre qui s’en soit occupé ! Je demande qu’on me donne un juste compte-rendu paru dans une revue psychiatrique concernant ce livre de Michel Foucault. C’est tout à fait frappant ! Car c’est quelque chose pour la compréhension de la position du psychiatre d’absolument capital ! ça replace les choses dans un contexte qui permet vraiment de voir ce dont il s’agit : qu’est-ce que ça veut dire qu’Esquirol et Pinel ? Il ne s’agit quand même pas là, pour l’instant de faire… de… de la politique, n’est-ce pas… Il ne s’agit pas de ça du tout. Il s’agit de s’apercevoir d’une certaine fonction qui est née avec cette pratique qui a constitu… constitué (sic) à isoler les fous. Le fait que nous tendions maintenant de moins en moins à les isoler ça veut dire que nous y mettons d’autres barrières, d’autres murailles… dont en particulier ceci que nous les considérons beaucoup plus – c’est là justement la pente psychiatrique – beaucoup plus comme objets d’études que comme point d’interrogation au niveau de ce qu’il en est d’un certain rapport du sujet, de ce qui situe le sujet par rapport à ce quelque chose que nous qualifions d’objet étranger, parasitique, qui est la voix essentiellement. En tant [que] voix, elle n’a ici de sens que d’être support du signifiant.

À partir de là, ce qu’il en est de la position du psychiatre, va nous permettre d’entrevoir, si je puis dire, que ça n’est pas une position toute simple. Outre que du fait de <l’observer> – c’est-à-dire, de prendre une certaine position de principe qui est aussi radicalement contraire, s’il se peut, à ce qui peut en être expérimenté en tant que le psychiatre saurait ce qu’il en est de la considération du sujet – outre cela, ce qui fait barrière, c’est à savoir que le psychiatre est intégré comme tel à un certain rapport hiérarchique, qu’il le veuille ou pas, il est en position d’autorité, de dignité, de défense d’une certaine position qui, d’abord et avant tout, est la sienne : il s’agit précisément que ce soit par autre chose que par l’angoisse qu’il réponde à cette existence du fou. Je n’irai pas plus loin ce soir dans ce sens, car on aurait tort de croire qu’ici je veuille d’aucune façon mettre en cause la position du psychiatre : elle ne peut pas être autre chose que ce qu’elle est. Ce que je mettrais plutôt en cause c’est que ma dignité, si l’on peut dire, [n’y accusait] un échelon de voix dans ce qui constitue ces sortes de réunions dont on souhaiterait qu’elles soient de société scientifique, qui sont celles qui prouvent que les psychanalystes conservent dans leur hiérarchie quelque chose qui est du même ordre que cette distance, que cet échelonnage, par rapport à un objet, qui fait justement l’impossibilité dans laquelle est le psychiatre d’aborder la réalité du fou d’un nouveau point de vue.

Ce que je veux mettre simplement en valeur ce soir, parce que je crois que c’est quelque chose dont, peut-être – comme je vous vois tous ici, je connais bien à peu près pour tous vos bouilles, je vois bien ceux qui ont déjà entendu parler de certaines choses et les autres pas – donc quelque chose dont en somme vous n’avez pas eu vent jusqu’ici. C’est une considération qui est celle-ci : cette histoire du sujet, vous me direz, n’est pas une chose pour [l’y entifier] – ça pouvait être au temps de Freud – seulement il s’est passé – je pense quand même que vous vous en rendez compte – une certaine transformation que connaît notre monde qui est considérable et qui fait que le sujet est quelque chose, dans notre temps, que définit comme sujet l’existence de la science. La science qui est la nôtre est ceci qui ne se constitue que d’une rupture qui est datable dans les siècles, et l’âge n’en est pas plus que le siècle d’or, le 17 e . La science est née précisément du jour où l’homme a rompu les amarres de tout ce qui peut s’appeler intuition, connaissance intuitive, et où il s’en est remis au pur et simple sujet qui est introduit, inauguré d’abord sous la forme parfaitement vide qui s’énonce dans le cogito ; je pense, donc je suis. Il est tout à fait clair maintenant à nos yeux que cette formule ne tient pas debout, elle est néanmoins décisive, car c’est elle qui a permis… qui a permis ceci : on n’avait plus aucun besoin d’en recourir à l’intuition corporelle pour commencer d’énoncer les lois de la dynamique.

À partir de ce moment là la science est née, corrélative d’une première isolation du sujet pur, si je puis dire. Ce sujet – pur – bien sûr, n’existe nulle part, sinon comme sujet du savoir scientifique. C’est un sujet dont une part est voilée, celle justement qui s’exprime dans la structure du fantasme, à savoir qui comporte une autre moitié du sujet et son rapport à l’objet a . Le fait que tout ce qui a été jusqu’ici intéressé à son insu par cette structure réelle, à savoir la façon dont on l’a traitée jusque là, la façon dont ça s’est inscrit dans les rapports sociaux, dont en quelque sorte toute la construction sociale s’est fondée sur ces réalités subjectives mais sans savoir les nommer ; il est clair que l’expansion, la dominance de ce sujet pur de la science est ce qui vient à ces effets dont vous êtes tous les acteurs et les participants, à savoir : ces profonds remaniements des hiérarchies sociales qui constituent la caractéristique de notre temps. Eh bien, ce qu’il faut que vous sachiez, parce que vous allez le voir et vous le verrez de plus en plus – si naturellement jusqu’ici vous ne l’avez pas vu, encore que ça crève les yeux – c’est qu’il y a un prix dont ça se paye l’universalisation du sujet, en tant qu’il est le sujet parlant, l’homme.

Le fait que s’effacent les frontières, les hiérarchies, les degrés, les fonctions royales et autres, même si ça reste sous des formes atténuées, plus ça va plus ça prend un tout autre sens, et plus ça devient soumis aux transformations de la science, plus c’est ce qui domine toute notre vie quotidienne et jusqu’à l’incidence de nos objets a . Je ne peux pas [en rester] ici, mais s’il est un des fruits les plus tangibles, que vous pouvez maintenant toucher tous les jours, de ce qu’il en est des progrès de la science, c’est que les objets a cavalent partout, isolés, tous seuls et toujours prêts à vous saisir au premier tournant. Je ne fais là allusion à rien d’autre qu’à l’existence de ce qu’on appelle les mass-média, à savoir ces regards errants et ces voix folâtres dont vous êtes tout naturellement destinés à être de plus en plus entourés – sans qu’il n’y ait pour les supporter autre chose que [ce qui est intéressé] par le sujet de la science qui vous les déverse dans les – yeux et dans les oreilles.

Seulement il y a une rançon à ça – vous ne vous en êtes pas encore aperçus, quoi que vous ayez traversé – malgré tout il y a un certain nombre d’entre vous qui n’avait pas seulement un an ou deux à ce moment là, mais certainement il s’est produit pas mal de choses – c’est que, probablement en raison de cette structure profonde, les progrès de la civilisation universelle vont se traduire, non seulement par un certain malaise comme déjà Monsieur Freud s’en était aperçu, mais par une pratique, dont vous verrez qu’elle va devenir de plus en plus étendue, qui ne fera pas tout de suite voir son vrai visage, mais qui a un nom qui, qu’on le transforme ou pas voudra toujours dire la même chose et qui va se passer : la ségrégation.

Messieurs les nazis, vous pourriez leur en avoir une reconnaissance considérable, ont été des précurseurs et ont d’ailleurs eu tout de suite, un peu plus à l’Est, des imitateurs, pour ce qui est de concentrer les gens – c’est la rançon de cette universalisation pour autant qu’elle ne résulte que du progrès du sujet de la science.

C’est précisément en tant que vous êtes psychiatres que vous pourriez avoir quelque chose à dire sur les effets de la ségrégation, sur le sens véritable que ça a. Parce que de savoir comment les choses se produisent ça permet très certainement de leur donner une forme différente, d’une lancée moins brutale et si vous le voulez plus consciente, que si on ne sait pas à quoi l’on cède, vôtre… ce que vous représentez si je puis dire dans l’histoire, et comme les choses vont vite, ce qu’on verra très vite, je sais pas, peut-être dans une petite trentaine ou cinquantaine d’années, c’est qu’il y avait déjà, autrefois, quelque chose qui s’appelait le corps des psychiatres et qui se trouvait dans une position analogue à ce qu’il faudra bien alors inventer pour comprendre ce dont il s’agira dans les remuements qui vont se produire et à des niveaux sur lesquels vous pouvez compter, qui seront planétaires, dans ce qui se produira au niveau de ces initiatives constituant une nouvelle répartition [interhumaine] et qui s’appellera : l’effet de ségrégation. À ce moment là l’historien dira : mon Dieu, les chers psychiatres, en effet, nous donnent un petit modèle de ce qui aurait pu être fait à ce moment là comme cogitation qui aurait pu nous servir, mais à la vérité il ne nous l’ont pas donné, parce qu’à ce moment là ils dormaient, ils dormaient pourquoi ? Mon Dieu, parce qu’ils n’ont jamais vu bien clairement de quoi il s’agissait dans leur rapport à la folie à partir d’une certaine période ; ils ne l’ont pas vu, Dieu sait pourquoi, dira-t-on, ils ne l’ont pas vu justement parce qu’ils avaient le moyen de le voir. Simplement parce que la psychanalyse était là et que la psychanalyse c’est trop difficile. C’est trop difficile pourquoi ? Parce que la psychanalyse ils en ont fait après tout quelque chose que nous pourrons appeler plutôt un moyen d’accession sociale. D’accession sociale à quoi ? Oh, mon Dieu, à quelque chose qui n’est pas très compliqué : moi j’ai beaucoup parlé avec mes collègues américains, de questions de technique par exemple, et, ce qui leur apparaissait décisif pour le maintien de certaines habitudes, de certaines coutumes, d’une certaine routine, eh bien, mon Dieu, ils le disaient : c’était leur tranquillité ; rien ne leur paraissait plus décisif pour motiver la façon, par exemple, dont est levée ou fermée la séance que le fait qu’ils pourraient être absolument sûrs qu’à cinq heures moins dix ils prendraient tranquillement leur whisky. Je vous donne ma parole que je n’exagère pas. Pour tout dire il y a bien d’autres choses encore de reposantes dans la psychanalyse telle qu’elle est actuellement organisée, ne serait-ce que par cette espèce de progression, d’incita… d’accession sûre à des positions qu’on considère comme d’autant plus éminentes que l’on est censé détenir un savoir que les autres, les petits, les novices, enfin ceux à qui on n’aurait pas encore donné… enfin… la baraka, la bénédiction, auraient pas. Alors que dans bien des cas il est tout à fait clair que quelqu’un qui sort juste de sa psychanalyse est capable de voir des choses que le psychanalyste chevronné, n’est-ce pas – qui depuis le temps, a eu le temps tout à fait d’oublier son expérience que j’ai appelée précaire – laisse tranquillement passer.

Alors il est bien certain que dans tout ça je pourrais penser qu’après tout je n’ai pas parlé pour en obtenir de grands résultats. Bien que j’ai parlé si longtemps, il est clair que tout un ordre de mœurs quant à la transmission de l’expérience psychanalytique s’avère non seulement pas du tout bouger, mais qu’il conserve tout son prestige, tout son pouvoir d’attraction sur les jeunes génies qui sont titillés par l’envie d’y consacrer leur existence. Oui, à la vérité je pourrais penser qu’en effet j’ai longuement parlé et parlé pour pas grand chose, si finalement reste cet obstacle qui me permettrait, ce serait facile, de montrer la même absence de progrès concernant les vérités analytiques que celles que j’avais désignées tout à l’heure dans l’expérience psychiatrique.

Il ne suffit évidemment pas de se servir de mon vocabulaire pour épingler, enfin… des choses qu’on disait avant moi autrement, pour que ça ait le moindre effet sur ce qu’il en est effectivement de la pratique psychanalytique. Oui, il ne suffit même pas, je dirais, de répéter d’une façon, non plus simplement de vocabulaire – vous comprenez, on ne s’en aperçoit même plus, mais enfin depuis un temps, le désir, la demande… on a complètement oublié que personne n’avait parlé du désir et de la demande avant que j’aie appris à ce qu’on les distingue – mais ceci n’a aucune importance, parce qu’on peut parler du désir et de la demande et ça peut n’avoir aucune espèce d’effet dans la pratique analytique, même pas le plus petit commencement d’illumination dans la pensée du psychanalyste qui les emploie. On peut aussi transcrire plus intelligemment si je puis m’exprimer ainsi – je voulais aujourd’hui vous faire une théorie intelligente mais, vous voyez, je suis débordé par le temps – on peut parler plus intelligemment de ce que je raconte et même le transcrire d’une façon beaucoup plus intéressante. Il y a là une toute petite chose, dont je n’ai fait la découverte que tout a fait récemment et que je vous communique comme ça parce que je suis de bonne humeur, (ça ne fait pas partie de mon plan) ; j’ai observé ça après que j’aie – faut vous dire que j’ai tout de suite posé comme principe au départ qu’il n’y a pas de propriété intellectuelle – ça je l’ai toujours dit, je l’ai dit dès les premiers jours, dès les premières minutes de mon enseignement – enfin, n’est-ce pas, ce que je raconte pourquoi est-ce que quelqu’un d’autre ne le reprendrait pas ? et même s’il veut le reprendre comme étant de lui, je n’y vois absolument aucun obstacle. Dans cet ordre de choses pourquoi est-ce qu’on dirait que ça appartient à Monsieur Untel ? Seulement voilà, [en fonction d’un but] secondaire, je suis revenu sur mes positions.

Il y a donc ceux qui font ça et puis, bon, euh… enfin… c’est bien, fait proprement… il y en a beaucoup maintenant, ça se fait beaucoup… enfin… certains de mes élèves pensent que même, enfin, maintenant… oui… « maintenant voila faisons autre chose ! La doctrine de Lacan, eh ben, on sait que c’est vrai, c’est établi, c’est acquis… après tout, tout le monde est d’accord ! elle est en circulation ! »… oui…

Il y a une chose très frappante c’est que ceux qui font très bien le travail de la transmission, sans me citer, perdent régulièrement l’occasion qui est souvent visible, comme ça, affleurant dans leur texte, de faire juste la petite trouvaille qu’ils pourraient faire au-delà ! Petite ou grande même. Parce que bien sûr je n’ai pas eu le temps de toujours tout dire, tout monnayer, enfin ne croyez pas que tant que je vivrai vous pourrez prendre aucune de mes formules comme définitive, j’ai encore d’autres petits trucs dans mon sac à malices. Et quelques fois rien n’est plus visible que le fait qu’ils sont tout proches de la trouver avant moi et ça me ferait tellement d’plaisir, qu’un type ait fait une trouvaille dans mon sac à malices avant moi (rires). Eh bien, pas du tout ! Ils ne me citent pas pourquoi ? – Pour que tout le monde croie que c’est d’eux. Ils sont tellement fascinés par ce fait, parce qu’ils veulent que ça soit eux qui aient dit ça – tout le monde sait effectivement que c’est moi, mais peu importe – que c’est ça qui les empêche de faire le petit pas d’après – je peux pas – on est tard ce soir – j’aurais pu vous apporter des exemples, et après tout je veux pas être méchant, n’est-ce pas (rires dans la salle) alors… oui… Et pourquoi, pourquoi est-ce qu’ils feraient la petite trouvaille, hein ? S’ils me citaient ? C’est pas parce qu’ils me citeraient, mais parce que du fait de me citer, ils présentifieraient – c’est la même chose que pour les noms propres dans une psychanalyse, dont vous savez que c’est tellement utile que les gens les disent – ils évoqueraient le contexte, à savoir le contexte de bagarre dans lequel moi je pousse tout ça. Du seul fait de l’énoncer dans ce contexte de bagarre, ça me remettrait à ma place, ça leur permettrait, à eux, de faire juste la petite trouvaille d’après et de dire : « mais voilà, là… c’est grossièrement incomplet, on peut dire quelque chose de tellement plus intelligent » !… Seulement voilà, seulement voilà, il y a un obstacle comme ça, qui fait que… qui fait que – ça a un certain rapport, enfin… Je vous expliquerai ça une autre fois, ça s’appelle l’aliénation – n’est-ce pas ? (rires). Il y a des choses comme ça, vous comprenez, que… dans lesquelles on n’a pas le choix. La dernière fois que je vous ai fait un petit discours, je vous ai parlé d’une chose drôle, comme ça, sur la psychanalyse, qui est passée, parce que dans le fond tout ce que je dis passe ! Je peux dire tout ce que je veux, enfin, n’est-ce pas ! ça vous fait ni chaud ni froid… J’ai parlé de la bêtise et de la canaillerie, comme ça entre autres… Eh bien, la psychanalyse – je peux pas vous développer ça ce soir – est un domaine tout à fait extraordinaire et spécifique, c’est ça qui pourrait de fait faire penser qu’elle est vraiment de la nature de la science, je n’ai encore jamais osé le dire : c’est que la canaillerie n’y a aucune place. Elle peut pas s’y manifester. Alors c’est comme vous le savez à la bourse ou la vie, hein, on n’a pas le choix… On choisit naturellement la vie : on est écorné quant à la bourse. Ben, là où on ne peut pas choisir c’est ça que j’appelle l’aliénation – vous voyez, on en vient à une tout autre définition que ce qui est courant – là où <on> ne peut pas choisir l’alternative on choisit forcément la bêtise, un tout petit peu écornée de canaillerie. Voilà – au revoir .

1 La conférence avait été annoncée sous le titre de « La Psychanalyse et la formation du psychiatre ».

2 La transcription originale indiquait ait.

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