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Déchiffrer la déficience intellectuelle : la clinique du sujet auprès d’adolescents.

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Déchiffrer la déficience intellectuelle : la clinique du sujet auprès d’adolescents.
L'Harmattan
01/01/2019

Gérard PORTIER , Déchiffrer la déficience intellectuelle : la clinique du sujet auprès d’adolescents, Préface de Joseph ROUZEL, Éditions L’Harmattan

"Marin ou Paul donnent ici, dans leur inhibition déchirante, l’impression d’être condamnés à leur situation de handicap et à la dépendance à l’Autre : parental, médical, social... Chloé dans un diagnostic qui l’écrase, la révolte et ne fait pas la part belle à la dimension subjective, rêve pourtant d’un autre monde. Jade ou Lucia, dans l’expression de la honte à ne pas dire, invitent leurs parents à la parole qui délivre du secret. Que fait-on du mal-être et du vécu propre du sujet face à son histoire ? Comment peuvent opérer l’aide éducative et psychologique quand elles prennent en compte la dimension inconsciente chez l’adolescent, chez ses parents et dans l’instance de travail éducateur-psychologue ? L’inhibition ou autres manifestations de l’adolescent ne peuvent-elles pas être des leviers pour qu’advienne le sujet ?"

Gérard Portier, psychomotricien puis psychothérapeute, a expérimenté durant plusieurs décennies, en IME et dans le cadre d’un SESSAD, une clinique du sujet qui propose de soutenir l’adolescent dans la difficile prise en charge de son devenir. Au fil des nombreuses situations présentées dans l’ouvrage, s’esquisse, aux lisières de l’éducatif et du psychologique, une clinique respectueuse des défenses et de la temporalité du sujet. Le travail avec la famille et l’adolescent, ainsi que l’utilisation des médiations thérapeutiques, un chapitre leur est consacré, sont la marque de sa clinique. Psychanalyste, il intervient aussi auprès de professionnels dans le cadre de l’analyse de pratiques.

Préface

 Joseph ROUZEL

La clinique du sujet

 

Le syntagme de « clinique du sujet » est devenu un petit bateau, une tarte à la crème. C’est comme tous les mots, à force de tourner dans nos bouches et nos oreilles, sous nos plumes et nos yeux, ils s’épuisent et ils nous épuisent. Il faut les réveiller pour nous réveiller. Un recensement sur Google fait apparaitre… 26 500 000 résultats. Ça va de « la clinique du sujet handicapé » à « évaluation clinique des sujets », en transitant par « une clinique de la personne » …Une chatte n’y retrouverait pas ses petits.

Revenons à la source pour respirer. L’étymologie du mot clinique, en un temps où l’on perd le sens des mots, nous est ressource précieuse. Nous héritons ce terme des médecins de l’Antiquité grecque, notamment Hippocrate. Celui-ci s’appuie sur le sens premier pour définir ce qu’il nomme la «  teknè cliniké  », la technique clinique, qui consiste à s’incliner (même origine) sur le lit ( klinè ) où la maladie, le handicap, les vacheries de la vie ont allongé celui qui souffre. Dans l’acte clinique il s’agit de s’incliner du haut de son savoir et de son pouvoir, au chevet du souffrant, pour d’abord le rencontrer. Hors cette rencontre inaugurale, pas de clinique qui vaille. Souvenons-nous ici que la  teknè  d’où s’origine notre technique, c’est d’abord et avant tout l’art manuel de l’artisan, le tour de main, le savoir-faire, le truc de métier. Cela exige une position d’humilité du praticien, sans cesse à renouveler, jamais acquise. D’où il se fait qu’entre pratique et théorie s’ouvre un hiatus, un fossé qui n’est jamais comblable. La pratique réouvre sans fin les questions théoriques ; les concepts réinterrogent sans cesse la pratique. Hors cette ouverture permanente la psychanalyse se perd en dogmes sclérosants. La clinique naît de cette surprise permanente où il s’agit bien de remettre sans cesse sur le métier la matière même de la rencontre entre humains, qui constitue le fond de tout métier d’intervention sociale et/ou thérapeutique. Cette distance, cette « bonne distance » pour le dire à la manière de D.W. Winnicott, cadre la clinique comme une praxis jamais achevée. La clinique, issue du champ de la médecine, a petit à petit irrigué les sphères de toutes les professions de la relation humaine : psychologie, psychanalyse, psychothérapie, travail social, pédagogie… Nous en sommes les héritiers. Mais comme le précisait Goethe : « Ce que tu as reçu de tes pères, il te faut l’acquérir.» 

Quant au sujet, le  sub-jectus latin, nous oriente vers un « jeté dessous », disons le tout de go : sous-mis ! Paradoxalement le sujet n’apparait qu’au prix de certaines contraintes : la condition humaine, comme aime à le dire mon collègue et ami, le psychanalyste belge Jean-Pierre Lebrun, n’est pas sans conditions. 1 Il s’agit bien pour entrer en humaine condition d’en passer sous les fourches caudines de la castration et de se soumettre aux lois du vivre ensemble : on n’y coupe pas. Sauf chez les sujets habitant la structure psychotique, qui relève d’une construction hors castration. L’humain nait, comme l’écrit magnifiquement Valère Novarina, avec « un trou dedans » d’où jaillit la lumière du corps parlant. Bref, castré ! Prix à payer pour entrer en humanité comme être parlant. 

 «  La parole est la lumière du corps. Mais dans lumière je n’entends pas quelque chose pour les yeux - comme on dit en physique la lumière d’un tube ou d’un tuyau pour désigner le trou qui est dedans - mais plutôt l’âme du vide qu’il y a dans les choses. C’est la matière soufflée, esprit du souffle dans le vivant trou, dans l’homme transpercé, visible de part en part et troué par sa parole de dedans.  » 2

En ce qui concerne ladite déficience, dont le signifiant jalonne ce beau texte, ce terme est lui aussi sujet à caution. De quoi est-il le nom ? L’étymologie nous ramène à la  deficientia latine, issu du participe présent  deficiens du verbe  deficere . Cette famille linguistique nous conduit tout droit au manque, au défaut, à la défaillance, à la faiblesse. Ledit déficient porte la marque infâmante de l’insuffisance. Comparé aux soi-disant normaux il lui manque quelque chose de vital. 3 Le terme s’oppose à l’efficience, l’efficacité etc Il convient donc de mettre au travail ce vocable sur la table de dissection sémantique pour en ouvrir les arcanes et prendre la mesure des conséquences qu’il entraîne dans l’approche clinique. Pourquoi, pour aborder certains sujets, a-t-on mobilisé le vocabulaire du défaut, du ratage, de la défaillance. Si le fou est celui à qui il manque une case, dit-on, le déficient n’aurait que quelques neurones qui s’assemblent ? Ce vocabulaire de la défectologie, issu de l’industrie (zéro défaut !), épinglant un sujet dans ses difficultés à vivre, engendre une double-peine. Nous seulement, la maladie, le handicap l’affectent profondément, mais cet étiquetage produit une ségrégation tout à fait dommageable. En voilà un qui n’est pas comme les autres, à part. Et comme si cela ne suffisait pas on s’est mis à compartimenter : déficience physique, mentale, intellectuelle… Profonde, moyenne, légère etc Comme me l’a lancé un jour Françoise Dolto en supervision d’équipe où tournait le mot de « handicapé » à propos d’un jeune : le sujet n’est pas handicapé ! Il n’est pas ceci, pas cela, aucun signifiant au monde ne saurait le recouvrir. Il est… potentialité d’être, ajoutait cette grande clinicien… Bref une énigme vivante, un mystère. Voilà ce que recèle l’usage d’un syntagme comme « clinique du sujet », qui implique une position subversive et bat en brèche la classification de la déficience. Au-delà de l’étiquette, qui a peut-être sa pertinence en matière de nosographie médicale, il s’agit alors, comme le souligne à juste titre l’auteur, de conserver bien vivante «  une énigme à déchiffrer  ». L’énigme du sujet. Le sujet n’est pas déficient !    

Cette clinique du sujet dont s’inspire librement dans sa pratique Gérard Portier, selon le style qui lui est propre - car nous sommes bien loin des procédures, protocoles et injonctions de « bonnes pratiques » qui ravagent le champ de l’intervention sociale et du travail thérapeutique  4 -, met au cœur du travail d’accompagnement, la rencontre humaine de jeunes adolescents, au cas par cas, un par un. Soutenir, aider, soigner, réassurer, favoriser le développement des potentialités, apaiser la relation à autrui, dans la famille, à l’école, permettre de développer des projets de vie, soutenir les solutions inventées par ces jeunes sujets… exige de se tenir au plus près de certains de nos contemporains les plus démuni. Autant d’actions qui ne prennent leur pleine mesure que dans la confiance engagée entre les professionnels et lesdits usagers. Cette confiance, ce que les psys repèrent dans la dynamique du transfert, se tisse au fil des jours, des événements, des accidents, des émotions, du vécu. Ce qui n’apparait pas dans les grilles d’évaluation comptable : les petits riens du quotidien, le sourire d’un jeune, les trouvailles, les surprises… constituent les balises de ce qu’on nomme un suivi éducatif et/ou thérapeutique. Clinique de l’anodin, comme l’énonce Jean-Louis Mathieu. 5

Mais ça ne se fait pas seul, c’est un travail à plusieurs. La dimension institutionnelle est fondamentale. Les différents corps de métier s’articulent les uns aux autres, se démultiplient et inventent au fil des rencontres une dialectique institutionnelle sans cesse en mouvement. La « pratique en binôme » que présente ici Gérard Portier, témoigne de ce souci profond du travail collectif. Ça ne va pas sans doute, sans questionnements, sans valse-hésitation. Et pas sans fatigue. C’est d’une clinique de l’intranquillité qu’il s’agit ! 6 Les professionnels, du fait de leur engagement profond en relation, subissent de plein fouet les affres du transfert, des trop plein d’amour et de haine, qu’ils accueillent en eux et dont ils produisent le traitement dans des espaces comme l’analyse de la pratique ou la supervision. Ce travail inventif exige des professionnels de l’éducation et du soin, un entretien et un renouvèlement permanents de leur capacité de création.  

Dans le texte qui suit, illustré de nombreuses vignettes cliniques, forgé au feu de la pratique soignante et d’un cheminement professionnel de psychomotricien à psychothérapeute en IME, à l’issue d’un parcours de plus de 40 années d’exercice, se donne à lire l’éventail grand ouvert de ces rencontres humaines et à voir le théâtre quotidien qu’il déploie pour venir en aide à ces adolescents dits « déficients intellectuels », qu’une société comme la nôtre, hyper moderne, bien souvent laisse en plan. Et qui parfois se laissent aussi couler. Ces adolescents «  destroy, adolescents rejetés, minés par le sentiment d’être des déchets de la famille ou de la société  », ces adolescents que côtoient l’auteur et ses collègues, en rupture de ban, qui les voue à « la plus formidable galère sociale » ne s’agit-il pas de s’ouvrir avec eux à « une fraternité discrète à la mesure de laquelle nous sommes toujours inégaux ? » 7

Joseph Rouzel, Montpellier le 23 novembre 2018

 

1 Jean-Pierre Lebrun,  La condition humaine n’est pas sans conditions. Entretiens avec Vincent Flamand , Denoël, 2010. 

2 Valère Novarina,  Pour Louis de Funès , Actes Sud, 1988. 

3 Voir le cours au collège de France de Michel Foucault de 1975 intitulé  Les anormaux , EHESS/Seuil/Gallimard, 1999.

4 Jean-Yves Broudic,  Les « bonnes pratiques » à l’épreuve des faits. Du désir dans le soin et le travail social , érès, 2018.

5 Jean-Louis Mathieu,  Regard clinique : pour une lecture de l’anodin , Champ Social, 2008. 

6 Fernando Pessoa,  Le livre de l’intranquillité , Christian Bourgois, 2011. 

7 Jacques Lacan, L’agressivité en psychanalyse,  Écrits , Seuil, 1966. 

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