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L’art français de la guerre

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L’art français de la guerre
Gallimard
31/01/2011

Alexis Jenni, L’art français de la guerre, Gallimard, 2011, 633 p, Prix Goncourt.

C’est la force qui crée la résistance ! Voila ce que nous démontre ce tout nouvel auteur qui fait une entrée tonitruante dans le monde littéraire. Sa voix n’a pas fini de se faire entendre tant elle se déploie et s’amplifie telle celle de ces grands écrivains, à la Zola, à la Céline, au style flamboyant, époustouflant, qui laissent le lecteur épuisé, la crampe au ventre, le souffle court.

Son écriture, à l’instar de ces peintres chinois adeptes du pinceau soyeux et de l’encre opaque dont les pleins et les déliés rendent toutes les nuances de l’ombre et de la lumière, aligne les signes, des plus esthétiques aux plus sordides, sur le papier du passé de notre Histoire, comme on peint une esquisse, où le noir fait sombrer le blanc. On ne sait pas s’il raconte ou s’il dessine tant sa puissance évocatrice fait surgir de descriptions apocalyptiques de ces régions où la nature, désobligeamment sauvage, noie les hommes dans l’enfer. On a là un mélange de la « 317° section », de « l ’armée des ombres » et de « «20 ans dans les Aurès. »

Manier la langue, agencer les mots, inventer ce vocabulaire épique toujours renouvelé, malgré les 600 pages, sans jamais  faiblir ou se répéter grâce à une langue ciselée, aux enluminures délicates… c’est l’exploit de ce bel ouvrage.

Entre écriture et peinture naît l’écrivain de la dignité qui réhabilite la pire injure faite aux victimes : le refus de mémoire.

Question : où sont passés les morts, tous ces morts ? Quelle était cette vengeance aveugle, mais ciblée, qui enfouissait des populations entières sous le silence de la disparition. Pas de traces, pas de chiffres, mais la vanité de la force du pouvoir  et du sang versé. Des meutes de paras lancés sur l’Algérie, les loups mercenaires jetés en Indochine, s’avançant sans limites et en toute impunité, vers ce qu’il convient d’appeler, à mots couverts et sans trop faire de bruit, des crimes contre l’humanité. Et au final, pour quoi ?

Pour démontrer que l’autre ne nous ressemble pas ! S’il ne nous ressemble pas, il faut donc se rassembler et l’éliminer. Se rassembler, c’est avoir toujours plus de force. Ces théories ont fait le lit du racisme, de l’esclavagisme, du colonialisme.

Ressemblance et force ne font pas bon ménage : elles se conjuguent pour aller   à l’impasse.  La force, le parti de la force, le parti illégaliste, le parti de l’entre-soi implosent sur des utopies. C’est le rêve infantile de toute puissance et d’annihilation de l’autre qui se réalise. Mais la ressemblance n’a pas de vertu, contrairement à la reconnaissance de l’altérité.

Voilà ce que l’auteur rapporte à grands cris, à grands hurlements, en mettant en ligne de mire l’occupation allemande des années 40, l’Indochine et l’Algérie.

Un livre fort pour dévoiler avec force les tabous du colonialisme et les non-dits des exactions de tous ces conflits où l’homme perd sa part d’humanité et devient un loup pour l’homme.

Un livre qui donne à réfléchir sur le racisme, et ses fondements instables : la race ! Concept hallucinant la race ! Le rejet de l’autre dans sa différence. Attitude qui a toujours engendré la haine et le ravage en mettant en acte l’art le plus inhumain de l’homme, la guerre, qu’il fait avec brio comme aucun animal ne l’oserait. Le retour de l’état de culture à l’état de nature, justifiant la dévastation, et le déverrouillage, en nous, de la pulsion la plus archaïque, la plus froide, la plus profonde qui nous révulse et nous coupe de nous-mêmes dans l’après-coup.

D’où la nécessité bien pensante de ces censures, destructions d’archives, et autres refus de transparence pour lutter contre l’insupportable de l’homme face à l’inadmissible, l’inaudible, l’indicible de lui-même. Oser s’aventurer sur les terrains de la guerre sale, collaboration, occupation, discrimination, ségrégation, est une offense ; offense au passé, offense aux mémoires des crimes perpétrés. … Et pourtant … Il l’ose et développe une méditation, une réflexion, une remise en question d’avant-garde qui viennent heurter les conventions du conservatisme obscur, alors qu’elles devraient être les bases éthiques de notre société dite civilisée.

Et nous, chacun d’entre nous ? Quelle position aurions-nous tenue dans pareille débâcle du jugement, de l’embrigadement, de l’aveuglement ? Quel engagement quelle révolte, quel silence, quelle fuite, quelle adhésion ou quelle résistance ?

Et jusqu’où sous la torture ? Etre témoin n’est-ce pas déjà être responsable ? De vraies interrogations, sans concessions, que l’on élude le plus souvent. Les cafés philo qui fleurissent dans les cités devraient s’en inspirer et s’en nourrir, afin de faire avancer les échanges et désamorcer la méconnaissance.

Et ceux qui en sont revenus ? Les anciens combattants ? Ils n’ont été que combattants de l’instant ; ensuite, ils deviennent combattants d’eux-mêmes définitivement hantés par leurs fantômes. Comment vivent-ils ce passé dont les remugles nauséabonds envahissent les canaux de l’Histoire ? La dictature des conquêtes toujours renouvelées, se voit toujours soumise à l’échec, l’échec qui se love dans la pomme dès lors que l’homme fait fi de lui et lâche les chiens de sa haine.

Toutes les colonisateurs et esclavagistes ont fait ce constat de leur inéluctable retraite devant la détermination de ceux qui de tous temps tiennent bon face à la force illégale qui s’est crue victorieuse.

L’auteur a su dépeindre l’émouvante et pathétique faiblesse de l’homme devant lui-même lorsqu’il se croit supérieur à l’autre et transforme l’émotion en horreur et la fragilité en sauvagerie …

Florence PLON

     

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