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De la nécessité de gribouiller…

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Laurence LUTTON

lundi 20 février 2012

De la nécessité de gribouiller…

Feuilles 21x29/7, stylo feutre… la main, le cerveau. Le blanc vertigineux et vide de l’espace quadrillé, voici le moment de la terrible angoisse de l’écriture. Et pourtant, sans cesse nous y revenons à cet incertain… à cet endroit de la rencontre avec l’intimité de la pensée. Arabesques, mouvements dessinés, danse de la main, caresse du papier. L’écriture.

Impossible de dire, chercher le mot, construire la phrase, chercher loin dans sa mémoire l’expression du souvenir, l’habiller du verbe, de l’adjectif… encore raté ! Quel est le mot pour dire ?

Ecriture balafrée, lacérée, blessée, cicatrisée… la rature.

La trace, le témoignage à travers le temps, traversée des siècles, voyage des pensées… l’écriture, l’empreinte.

 Certains tentent la fiction, d’autres, l’autobiographie, le récit de voyages… 

Moi, les voyages… nombre tracent ma route… l’écriture en laisse des empreintes sur papier quadrillé 21x29/7. Carnets de voyage d’une éducatrice en résistance, ils disent l’écriture de la rencontre avec l’ « autre ».

L’écriture, «  représentation de la parole et de la pensée par des signes  », passage obligé pour échapper à l’oubli. Ecriture reconnaissante et reconnaissance de l’ « autre », tatouer le papier de l’encre indélébile pour que ces histoires vécues du côté de la souffrance humaine ne disparaissent jamais. Reconnaître l’ « autre » pour ce qu’il est et ce qu’il advient de lui et à lui-même.

L’écriture pour que les cris durent… qu’ils traversent la conscience de ceux qui se réclament encore de la pensée en ces temps obscures niant les cicatrices de l’Histoire en déclarant des civilisations supérieures à d’autres, en proposant un référendum s’agissant des droits aux indemnités chômage de nombre de nos compatriotes abandonnés à leur sort.

Ecriture pour dire son engagement, son identité, sa singularité. Ecriture, avocate de la défense de qui nous sommes les éducateurs spécialisés, écriture de la partie civile… des blessés, des naufragés, des oubliés de la cité. Ecriture de l’accusation face au consumérisme, au rationalisme, au cognitivisme… procureurs de la chose publique, les éducateurs ont à dire les blessures que la société inflige aux plus fragiles.

Ecrire, l’impossible auquel on revient toujours comme nous le rappelle l’écriture de la belle et grande Duras. Ecrire, quelque chose au creux du ventre qui ne disparaît pas, les années s’enchaînent et c’est là, toujours.

Des romans, toujours recommencés, des nouvelles toujours inachevées, des poèmes toujours rêvés…

Et, cet instant de juillet dernier où l’urgent témoignage s’est inscrit à l’encre noire, coulant de source, aucune retouche, c’est advenu, ça ne m’a plus lâchée…

Ecriture de l’émotion mais les mots ne viennent pas, peut-on oser les cris sur le papier ? Comment ça s’écrit un cri ? Je ne trouve pas de pistes… tant pis, j’écris ce que je crie au fond de mon cerveau, encombré par mille histoires intenables pour tout entendement humaniste.

Ecriture à la rencontre de l’écriture… Joseph Rouzel dont je lisais depuis des années les livres… une écriture en écho à mes valeurs, à mon identité professionnelle. Il n’y avait que lui comme destinataire possible et plausible à ma petite bafouille engagée du côté du sens à faire collectif face aux extravagances d’une «  nouvelle gouvernance  », dont l’association se gargarisait à coup de «  démocratie participative  », pour mieux étouffer la dimension institutionnelle de notre centre de formation.

Ecriture légitimée par l’impudeur de la publication… Ecriture offerte à la lecture, au regard, à la critique, à la controverse… Ecriture pour résister…

Ecriture… jeter l’encre.

Voici donc des escales pour une éducatrice en résistance… S’arrêter auprès de l’éthique, de la relation éducative, de l’identité professionnelle, du sujet, de l’ « autre » en souffrance, de la dimension politique du métier…

Laurence Lutton, éducatrice spécialisée et cadre pédagogique

Commentaires

L'écriture et ses (ces) gribouillis

Je viens de lire ce texte sur l'écriture et ses gribouillis. Ces "gris bouillis" de mots qui viennent ou ne viennent pas sur le papier, sur un sol ou sur un mur ou bien sur tout type de support, - support(s) qui eux supportent la trace d'écriture afin de pouvoir devenir un relais d'écrits pour nos yeux sans cesse en mouvement. L'écriture, et ses gribouillis, l'écriture et parfois des dessins qui en émergent signe notre liberté d'expression (quel mot que ce mot de liberté !). Pour moi, "les cris turlupinent" notre état du moment, état conscient pour en activer notre inconscient. Quel arme est l'écriture ! quelle arme pour l'individu, pour la personne. Quelle découverte et autonomie pour l'enfant ! Ecriture et lecture !
La lecture et ces "gribouillis" d'instants que nous pouvons chopper pour lire un passage, une page, un article, une phrase, un roman durant 3 heures de temps ! Quand je dis "gribouillis d'instants" pour la lecture, je veux dire que lire est aussi comme l'écriture un besoin qui se passe (parfois) de cadre.

mettre des mots

pour moi, mettre des mots est les respecter

mais aussi trvailler sur le pourquoi, le comment du trvail

Jean Pierre Moniteur educateur

l'écriture

Ecrire,c'est mettre des mots sur les maux des autres que la société a traduit par des mots: souffrance,handicap,vulnérabilité ,difficulté et qu'elle nous demande à nous travailleurs sociaux de jouer les garants de la loi par des gris/ bouillis qui justifient notre action auprés des personnes dont l’agir devient le seul moyen d’échange parce que, ce qui ne peut être dit en mots, est traduit en acte et renvoie très souvent aux premières expériences émotionnelles de l’enfant qui n’ont pas été mises en mots par l’entourage maternant.

Ce qu'écrire veut dire

(Voici un titre comme un pastiche, un hommage... et non une escroquerie)

Chère Laurence, je vois - mais c'est pas d'aujourd'hui - comme l'écriture est aussi pour toi quelque chose qui vient "marquer" là où le vide énigmatique fout le vertige, parfois le bordel... Je suis un bricoleur et non un scientifique, et je dois dire que c'est d'ailleurs en écoutant Rouzel une fois que j'ai fait le rapprochement, assez tardif, entre la question de la loi et celle de l'écriture...
Les lois qui s'imposent aux Hommes sont fabriquées par d'autre Hommes, et cette autorité repose sur ce drôle d'objet qu'est « l'écrit ». Que nous regardions la prolifération journalière de textes juridiques, lois, arrêtés en tout genre et décrets, etc., ici et ailleurs, mais aussi remontions le temps aux alentours des 10 commandements gravés sur pierre, et autres mythes, etc., et puis marchions vers les énigmes que posent les traces des premiers glyphes... (ce sont des exemples), l'observation est édifiante : les technocrates ne sont pas nés de la dernière pluie dans l'histoire de l'Humanité.
L'Homme a agilement capturé le feu, il a aussi trouvé comment dépasser les limites de son corps en mettant en forme des « signes » physiquement externes à sa propre enveloppe. A qui est dès lors capable de graver, peindre, « marquer » l'objet, la matière, détient la manière, la technique, le procédé, le savoir-faire, de manipuler des « symboles ». Et détient le « pouvoir » de « porter la parole »...
(On observe comment souvent d'ailleurs dans notre quotidien d'éduc, la parole est souvent réduite à une dimension orale, voire la faculté chez un « usager » d'articuler des phonèmes, syllabes, à sa dimension même acoustique et sensorielle... enfin bref...)
Le glissement qui s'est fait de l'oral vers l'écrit a fait intervenir cet élément extérieur à nous qui défie le temps : la permanence du résultat qui ne dépend plus de la répétition du « geste » pour opérer. A l'oral il faut répéter sans cesse, à l'écrit on l'écrit une fois pour toute/tous. Ce qui n'a pourtant pas pris des lustres à « faire », à réaliser, néanmoins ça « reste », au-delà de l'action même, mais bien au-delà, au-delà de moi-même dans l'espace et dans le temps, y compris dans celui qui ne m'appartient plus : on est dans « l'acte » de la défiance, celle de ma mort.
Dans l'acte d'écriture, un phénomène nous extirpe de l'immédiateté des choses, des événements, et modifie la perception de l'ordre du monde.
Je ne suis pas dans des considérations théoriques communément admises, ni ne maîtrise les conventions scientifiques, et ne suis pas non plus doté d'une grande adresse pour communiquer mes pensées, mais j'ai l'impression que « l'histoire d'écrire » a quelque chose à voir avec la notion de responsabilité, d'éthique, dans la formation de notre esprit critique face aux violences symboliques ("tout pouvoir qui parvient à imposer des signification et à les imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force" Bourdieu) et même alors hiérarchiques (hiérarchie, le « commandement sacré ») qui frappent notre condition de « sujets »... assujettis à nos mécanismes internes, notre être sensible, à nos désirs, le « je » qui veut affirmer une existence propre et une capacité d'être maître de soi, et assujetti aux pressions extérieures qui me « gouvernent », commandent de moi que je sois ceci ou cela, celui-là ou celle-ci... au nom du droit à être conforme, valide, autonome, baigné du bonheur minimum garanti... que je ne sais pas reconnaître comme celui qu'il me faut ! Quelle insolence habite ceux qui nous sont confiés ! Ils rejettent parfois le bonheur qu'on leur propose ! Produisez-consommez, taisez-vous, et bonne fin de vie messieurs dames...
Or, si l'on s'autorise à faire un pas de côté, comme ici par l'acte d'écriture, il est stupéfiant de voir comme ces « handicapés », « inadaptés », graines de violences, « déficients », « exclus » ou « marginaux », ces « fous » ont justement assez de folie pour prendre en charge la remise en question de notre façon d'ordonner le monde, et de construire le projet humain. Et de construire, « d'élaborer » leurs projets ! Je ne sais plus qui disait que le travail social est un « symptôme »... peut-être bien Rouzel, je ne sais plus trop... Pour moi il vient aussi témoigner de l'échec d'une société dans l'intégration et l'enrichissement des différences dans la construction d'un monde qui les concerne aussi. Envers qui et pour quelle raison il devrait s'excuser d'exister.. ?
D'aucuns acceptent un peu hâtivement l'ordre des choses comme « reçu », qui va de soi, qui ne doit/peut pas se remettre en question, où nous n'y serions quasiment plus pour rien dans son projet. Mais il faut se réveiller... « Les marchés sont rassurés » j'ai entendu dans cette satanée télé y'a pas si longtemps... Mais c'est quoi ces conneries ?! Ça respire, ça pense, ça a peur, des doutes, ça prend des décisions, ça se met en colère, ça aime, ça pleure un marché ? Ou ce sont des hommes et des femmes qui sont aux commandes de cette machinerie qui ont les chocottes parfois ? Hein.. ? Arrêtons les conneries...
C'est donc notre capacité à mettre en question le monde qui nous entoure, relativiser les discours qui font la promotion de l'ordre à tout prix, empreints de fatalité dont celle qui cautionne l'économie absurde de qu'il y aurait à faire en aidant nos « alter ego » alors qu'un être humain n'a pas de « prix » sur les « marchés », qui « marque » aussi la démarche d'écriture. On ne « dé-pensera » pas plus qu'aujourd'hui, j'espère...
Cette démarche d'écriture, qui sert le dessein de ceux qui imposent leur ordre, qui fonde leur légitimité d'être violents envers d'autres, les pliants à la soumission, il faut assez de force et de courage, de caractère pour s'en emparer et dire avec elle ce dont on se sent responsable.
Quand c'est envisageable, l'atelier d'écriture c'est d'ailleurs un projet qui a du sens dans les institutions. Cela veut dire plein de choses que d'écrire... ça permet de travailler l'imagination qu'on dit, de symboliser et tout... de venir « emmerder le monde » avec leurs « conneries de poèmes », ou leur autobiographie, ou plus généralement « leurs histoires » qui, peu importe sous quelle forme, viennent témoigner sur le papier d'eux-même, de la marque du sujet, qui « disent » quelque chose de ce qu'ils vivent. Parfois « ça » veut « rien dire »... mais « ça » est plus fort que moi... et puis rien dire, c'est mieux que de ne pas dire du tout..! Remettre dans la main la plume à cet autre qui ne serait pas là à « sa place », y'a moyen qu'il puisse y « inscrire » justement sa marque, qu'il « signe » la tentative d'une restauration de sa « parole ». Oui ça fait chier certains que l'autre se mette à écrire... tout le monde n'est pas prêt, contrairement à ce que peuvent crier les politiques sociales visant à inscrire la participation des usagers,etc., à laisser la parole à l'autre... Si l'on s'en tient à lire les discours assez éloquents et politiquement corrects, tout le monde, gestionnaires, politiciens, professionnels, veut affirmer que « l'usager » est un sujet de droits, etc., qui serait au centre de l'accompagnement et tout... pour qui y'a tout un tas de trucs aujourd'hui... Je ne pense pas, même si je suis jeune dans ce métier, avoir beaucoup de preuves d'engagement du côté de l'accès à cette forme fondamentale de citoyenneté qui est de permettre à l'autre en souffrance, dans les 2 sens du terme, de retirer sa casquette « d'usagé au cœur du dispositif », « acteur » de son projet, pour par exemple enfiler celle de l'écrivant, qui a besoin de s'écrire, d'être l'auteur de ce qu'il projette, d'être responsable de ce qu'il a à dire... par exemple.


(Ouh la, j'ai attrapé une claviérite...)

publiez!

Cher Frédéric,
j'ai pris un grand plaisir à vous rencontrer là où la pensée s'ancre, avant d'encrer le papier, l'écriture. Mais pourquoi ne publiez-vous pas vos textes sur ce site? Vous ne pouvez pas priver ses hôtes de votre réflexion riche et intéressante...
Pensez-y
cordialement à vous
Lo'

merci

Lo' ! merci, merci pour ce message d'encouragement, mais surtout pour m'avoir donné cette idée de la publication. J'entends publication, rendre publique, ce que eux ont à écrire. Je n'y avais pas pensé. Je ne sais pas si ça serait une bonne idée d'inviter les personnes que j'accompagne à publier leurs écrits... poèmes, brèves, récits en tout genre, 2 lignes ou 3, témoignages, rêveries ou citations... ça pourrait déjà se faire dans l'espace institutionnel au moins.
Ou par exemple, "chez nous" y'a une "gazette" qui circule dans toute l'association, et elle est révélatrice ! Elle devrait mettre en avant ceux-là que nous accueillons dans ces "maisons d'accueil" mais ce bout de papier montre les "travaux" qui se font ! Attention quand je dis travaux c'est vraiment du BTP, sans rire : les "constructions" de nouveaux bâtiments, aménagements, peintures de façades, projets de transformations de CHRS et foyers dérivés, dans leur dimension matérielle... un mur à tel endroit, des fenêtres, et hop, investissons dans la pierre... Des "projets d'humanisation" qu'ils appellent ça... ben j'aimerais bien contribuer à y mettre du sens, tiens, en ornant ces papelards de travaux d'écriture portant la parole de l'humain qui vient habiter ces "établissements". Pour que "l'institution" se mette à écrire, prenne vie, existe, s'humanise... Bon.. ce n'est pas à moi d'en décider, au fond, de toute façon, mais à ceux-là qui écrivent. A suivre.
Quant à moi, publier... je me sens pas assez d'adresse et trop éparpillé pour le faire. C'est que je n'ai peut-être pas assez d'expérience éducative non plus, et de capacité à exprimer ce qui bouillonne à l'intérieur... Mais j'y pense, un jour, un moment, une heure, m'y poussera peut-être...

Cher Fred

J'espère oui qu'un jour, une heure, une minute... le moment venu, vous partagerez la richesse de vos pensée. Votre écriture et très belle et va à l'essentiel. Nous, les éducateurs avons à écrire, comme le dit si bien notre hôte, Mr Rouzel... Ils écrivent les éducateurs, mais faudrait-il surtout qu'ils s'écrivent, pour "faire savoir leur savoir-faire". Formidable médiation éducative que l'écriture, vous me raconterez votre gazette, et pourquoi pas en être l'éditorialiste?
au plaisir de vous lire encore
Bien cordialement
Lo'

Corriger mes fautes

juste mille excuses pour deux fautes grossières que je viens de voir!!! mais il est tôt... Pas réveillée tout à fait. Et du coup j'en profite Fred, pour vous dire, écrire n'est pas l'écriture... Ecrire, comme dit Jacques Beauchard, c'est la rencontre intime avec la pensée. L'écriture en est la formulation politique au sens de la cité. Seulement certains s'adonnent à l'écriture sans avoir pensé l'écrire... Les imbéciles! Et ce sont ceux-là qui ont pris le pouvoir et fait du secteur médico social un espace mercantile... Ecrire pourrait être résister!
Lo'

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