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Questions d’autorité (2)

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Joseph Rouzel

dimanche 29 janvier 2006

« La culture désigne la somme totale des réalisations et dispositifs par lesquels notre vie d’éloigne de celle de nos ancêtres animaux et qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la réglementation des relations des hommes entre eux » Sigmund Freud, Malaise dans la culture .

« Die Menschen sind autoritätsglaubig. (Les hommes ont foi en l’autorité). » Sigmund Freud Lettre à Einstein de septembre 1932, « Pourquoi la guerre ? » in Résultats, idées, problèmes .

A) Le 8 mai 1984 Denis Lortie, jeune caporal de l’armée canadienne fait irruption dans le Parlement du Québec armé jusqu’aux dents. Il veut tuer les membres du parlement car, dira-t-il plus tard, « le Parlement du Québec avait le visage de mon père ». Heureusement ce jour là le Parlement ne siège pas. Il y aura quand même trois morts et huit blessés.

En 1993 René Didier assassine René Bousquet. C’est un acte gratuit, sans la moindre raison politique ou idéologique.

Le 4 février 199 Jean Ruchet tire sur le Conseil Municipal de Vantoux en Haute-Saône. Puis il tue son frère et son beau-frère. « Je voulais rendre la monnaie de tout ce que j’ai subi depuis ma naissance » dit-il pour expliquer son acte.

Lé 27 mars 2002, Richard Durn mitraille le Conseil Municipal de Nanterre. Il tue huit personnes et en blesse dis-neuf. Il déclare à la brigade criminelle : « N’ayant pas pris de renvanche sociale, par rapport à la situation de ma mère, femme de ménage étrangère, je n’étais pas digne de vivre… je décidais d’en finir en tuant une mini-élite locale, symbole de ce qu’étaient les cadres et décideurs dans une ville que j’ai toujours exécrée. »

Le 13 mai 2002, Maxime Brunerie tire sur le Président de la République et heureusement son geste est détourné par un touriste belge.

Le 6 octobre 2002 Azedine Berkam poignarde Bertrand Delanoë, Maire de Paris. Il déclare : « Je veux lutter contre le mal associé à la classe politique qui tient la justice entre ses mains. » Il précise qu’en la personne du Maire il a eu affaire au diable. Mais ce qu’il aurait aimé par dessus tout c’est avoir sous son couteau le Président des Etats-Unis.

En 1999 à Zug en Suisse un forcené entre au Parlement Cantonal et massacre plusieurs personnes. Etc

B) Le 27 octobre 2004 2004 un jeune de 14 ans, Pierre massacre toute sa famille : sa mère lui refusait d’aller jouer au foot, exigeant qu’il fasse d’abord ses devoirs.

Milieu décembre 2005 un élève poignarde sa prof de dessin et s’enfuit, parce qu’elle lui avait fait une remarque sur son travail. Fin janvier 2006, un élève veut étrangler sa professeure enceinte…

Etc.

C) Il y a quelques semaines le fils du premier Ministre de la République française se fait arrêter par les gendarmes pour infraction au code de la route. Le rejeton téléphone à papa qui ordonne aux forces de police de laisser tomber.

Il y quelques jours le Ministre de l’Intérieur convoque dans son bureau de la Place Beauvau un éditeur qui vient de publier un ouvrage sur la femme du Ministre. Il lui ordonne de laisser tomber. Etc

D) Pendant plusieurs jours fin 2005 des jeunes de banlieues françaises dites « difficiles » se heurtent aux CRS et brûlent des centaines de voiture. Il apparaît que les jeunes arrêtés ne sont pas connus de la police. Etc.

Mis bout à bout ces diverse informations plus ou moins récentes nous font réfléchir sur la fonction d’autorité et ses représentants. D’aucuns attentent aux représentants de la fonction d’autorité, d’autres la détournent pour une jouissance personnelle. Autant de figures défigurées de l’autorité.

Et la récente prétendue « crise des banlieues » a remis en selle les discours sur le déclin de l’autorité. Or l’autorité n’a rien de naturel, elle est essentiellement culturelle. Elle s’organise autour de deux pôles. D’abord des représentations culturelles, des valeurs fortes, des principes, des mots - phares (liberté, égalité, fraternité), une Référence affirmée à ce que le philosophe Dany-Robert Dufour nomme « des grand sujets » 1 , « un Grand Tiers » comme le souligne le psychanalyste Jean-Pierre Lebrun 2 , autant de reprises de la notion de transcendance. Bref une société ne s’organise qu’autour de ce qui fait autorité et permet de réguler la jouissance de chacun de ses membres.

Ensuite, un deuxième pôle découle logiquement du premier, l’autorité ne se décrète pas, elle est conférée. Elle ne se déploie à partir des mises en scène des grands organisateurs sociaux ( religions, philosophie, art, politique…), relayées par des agents, des représentants, des passeurs qui s’autorisent de cette source forte transcendante et que l’organisation sociale autorise. Ils s’en autorisent en s’y soumettant. Parents, enseignants, travailleurs sociaux, magistrats, policiers, politiques, représentants de l’Etat… participent ainsi dans notre espace républicain, de cette mise en œuvre de l’autorité, notamment en direction des plus jeunes. La « fabrique de l’homme occidental », pour reprendre l’expression de Pierre Legendre 3 , se fonde de ce qui fait autorité, de ses passeurs et des lieux institutionnelles qui en permettent la mise en œuvre : famille, école, quartier, lieux de travail, espaces publiques… Les rituels de socialisation constituent autant de mise en acte de l’autorité.

Or notre société post-moderne a peu à peu déconstruit les principes mêmes de l’agencement social, au profit d’une idéologie totalitaire spectaculaire et marchande qui s’est, au fil des trente dernières années, mondialisée. Issue du discours de la science, dans ses retombées technologiques et industrielles, cette idéologie a petit à petit infiltré l’ensemble des réseaux de socialité. On en mesure les effets dans tous les domaines, notamment dans le démaillage progressif du lien social. Cette forme d’écrasement de la transcendance sur l’horizontal que produisent les lois du marché, seules au bout du compte à tramer le tissu social, touche de plein fouet tous les réseaux de transmission de l’autorité qui permettent au petit d’homme de se soumettre aux lois de la société qui l’a fait naître. Les différents agents de transmission précités sont dans l’embarras : qu’est ce qui les autorise alors à agir sur la jouissance alors que le discours dominant dans toutes ses ramifications ordonne un « monde sans limite » 4 , notamment à travers la consommation effrénée des objets ? Les plus jeunes ne les reconnaissent plus comme tels, parce que les valeurs qu’ils déploient entrent en contradiction avec l’idéologie qui prédomine dans les sociétés dites de consommation. Les adultes qui ont en charge la transmission de l’éducation sont en difficulté et ne savent plus à quels saints se vouer. Il s’agit peut être, en tenant compte du contexte de déclin de l’autorité, notamment dans les figures défaillantes de la fonction paternelle 5 , d’inventer un monde nouveau. Que reste-t-il pour se soutenir dans sa propre vie et face à autrui, quand toutes les grandes valeurs qui ont fondé jusque là le lien social et le fondement des processus éducatifs, se sont effondrées ? Il reste, comme le disait Lacan, dans ce monde post-moderne où « L’Autre n’existe pas », que l’être humain est un « parlêtre ». Peu ou prou les lois de la parole et du langage demeurent comme source d’autorité. Qu’en est-il dans notre société, et dans ces micro-sociétés que constituent les établissements sociaux et médico-sociaux, de la prise en compte de la parole de chaque sujet ? Comment la transmission, et des lois qui organisent la société et de la Loi symbolique qui en constitue le fondement, est-elle encore humainement possible ? Les jeunes dans certains passages à l’acte, notamment les plus emblématiques qui visent soit à détruire les biens de consommation (révoltes des banlieues et voitures brûlées), soit à tuer les agents de l’autorité ( crimes récents commis contre des politiques, des enseignants, des parents…) nous poussent à inventer. 6 Si notre civilisation est malade c’est , non pas comme on le dit trop vite que l’autorité s’est effondrée, mais que ses figures sont devenues illisibles dans l’espace social. Redonner figure humaine à ce qui fait autorité tel est l’enjeu des décennies à venir. Dans ce combat les travailleurs sociaux sont logés aux avant-postes.

1 Dany-Robert Dufour, On achève bien les hommes , Denoël, 2005.

2 Jean-Pierre Lebrun, (sous la dir.), Avons-nous encore besoin d’un tiers ? érès, 2005.

3 Pierre Legendre, La fabrique de l’homme occidental , Milles et une nuits, 2000.

4 Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite , érès, 1997.

5 Charlotte Herfray, Les figures d’autorité , érès, 2005.

6 Cf. Le texte de Joseph Rouzel sur le site de psychasoc, intitulé « Dire non à la jouissance ». http://www.psychasoc.com

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