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Réflexion sur l’analyse des pratiques institutionnelles (nouvelle version)

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Lin Grimaud

mercredi 04 janvier 2006

1

« Seul le minuscule me paraissait ressemblant. » 3

Alberto Giacometti

J’ai réuni ici quelques remarques sur l’analyse des pratiques : sur ce qui se passe lorsque j’interviens à la demande d’une équipe sociale, médico sociale ou psychiatrique.

La spécificité de ma pratique tient au fait que j’ai maintenu un lien dynamique entre mon activité de psychologue institutionnel et mon activité d’intervenant extérieur.

J’ai donc construit un regard qui n’est pas celui d’un spécialiste consultant, mais d’un professionnel qui développe un dialogue itinérant avec d’autres professionnels.

C’est ce regard que vous me donnez ici l’occasion de définir puisque c’est la première fois que je m’adresse à des praticiens en analyse des pratiques, réunis à ce propos.

Le référentiel

1 – La psychothérapie institutionnelle

Pour situer un élément qui éclaire cette orientation précoce de praticien du quotidien institutionnel et de formateur, je dois évoquer ma rencontre avec le docteur François TOSQUELLES dans un groupe de formation que j’ai suivi durant quatre ans vers la fin de mes études et au début de mon activité professionnelle.

TOSQUELLES m’a permis de comprendre que le champ de nos pratiques d’accueil et de soin pouvait être aussi champ de recherche et de créativité à la croisée des sciences humaines, de la psychopathologie et de la psychanalyse. Ceci n’est pas évident à concevoir pour un professionnel débutant ni même, je le pense encore, pour un professionnel au long de sa carrière s’il n’a pas un jour eu l’occasion de participer à une véritable dynamique d’élaboration institutionnelle des pratiques.

Nous travaillons dans un secteur où toute l’énergie des professionnels et des équipes peut être intégralement absorbée jour après jour par le souci de maintenir un fonctionnement sans que la question institutionnelle de fonder une conception des pratiques ne se concrétise jamais.

La principale préoccupation qui s’installe alors durablement dans ce genre de contexte est de défendre son territoire, voire de l’étendre.

La perspective du pouvoir est ce qui reste quand il n’y a plus rien d’autre à penser. Tel était la remarque du psychiatre Lucien BONNAFE lorsqu’il évoquait les « baronnies » pour désigner les préoccupations des professionnels, notamment des médecins, en termes de conquêtes et de replis territoriaux.

Chacun sent pourtant qu’une pratique humanisante ne se développe jamais par hasard et demande l’élaboration d’orientations qui elles mêmes s’appuient sur des conceptions adéquates.

La fonction première d’une action de formation, la responsabilité de l’intervenant, sont ainsi à comprendre du côté de l’événement mutatif qui engage un changement.

Ne soyons pas mégalomanes, il s’agit seulement de permettre le pas de côté qui produira un effet de relance dans les modes d’observation, les habitudes de pensée et de relationner.

Une action de formation dite « analyse des pratiques » n’a pas pour objectif de produire des effets immédiats mais de redéfinir une méthodologie. Il s’agit selon la formule du psychanalyste Christophe DEJOURS, de passer du problème à la problématique.

La formule est jolie et on peut s’en bercer, mais passer du problème dont le vécu écrase la pensée à la mise en problématique qui exige la mobilisation de la pensée, relève du paradoxe que seule une méthodologie correcte peut mettre en perspective.

Une méthodologie pour le sens et la fiabilité de la rencontre puisque, au bout du compte, les progrès et améliorations de l’usager viennent du fait que sa confiance aura été gagnée, que sa sécurité de base, son espoir dans le lien humain auront été renforcés.

Si je parle souvent de ma rencontre avec TOSQUELLES et la psychothérapie institutionnelle, ce n’est pas pour la fétichiser, mais parce qu’elle a constitué de cette façon pour moi la possibilité de découvrir un champ de recherche sur les conditions de pertinence et de cohérence des pratiques.

La dernière fois que je l’ai vu et que je lui disais le rôle que, sans le savoir, il avait joué dans mon investissement professionnel, il a répondu « Nous les professionnels sommes là pour aider les gens à passer les moments difficiles ».

Il m’a en effet aidé à passer le moment difficile du débutant dont la vision sur lui même et sur ce qui se passait dans le quotidien – je travaillais à ce moment là dans un institut de rééducation pour adolescents – était marqué par le chaos et l’incohérence.

J’ai donc acquis assez tôt la conviction que la lourdeur, la répétition, la manipulation et l’enfermement n’était pas le tout d’une situation institutionnelle, et qu’il y avait aussi là un champ de potentialités pour une expérience à la fois créative, curative et véritablement formatrice entre soignés et soignants.

Dans cette perspective de dégager les potentialités curatives d’une situation, Tosquelles permettait de saisir en quoi les dispositifs et fonctionnements s’étayent sur l’analyse clinique fine des individus et des groupes.

Il n’était alors plus question de se contenter de positions de surplomb, de réactions de prestance, de recours incantatoires à des théories prêt - à - porter.

Ce qui ressortait du discours de Tosquelles était l’enjeu, au cœur du travail, d’un décentrement de nos propres projections, attitudes psycho défensives, habitudes de pensée et préjugés groupaux.

Ce qui est donc à comprendre découle d’une action psychique du collectif soignants /soignés et ne se réduit pas à objectiver. Inversement il n’est pas soutenable de subjectiver sans recours à l’objectivation.

D’où l’importance de la qualité de l’observation dans tous les registres de la pratique quotidienne afin de progresser ensemble dans une démarche clinique de bonne qualité.

Cette articulation dynamique réalisée dans le collectif entre objectivation et subjectivation est à la base de toute grammaire soignante. D’elle dépend la possible liaison entre l’observation, sa restitution, l’élaboration des hypothèses cliniques et enfin l’ajustement des dispositifs de prise en charge.

Enfin, de cette liaison découle concrètement deux choses : la validité du projet individuel et d’établissement ainsi que la possibilité de lutter contre l’aliénation de l’usager par le fonctionnement institutionnel.

L’apport essentiel de TOSQUELLES a été de montrer comment l’équipe pluridisciplinaire devient un véritable outil de clinique institutionnelle à condition de permettre et d’équilibrer les différentes cliniques : éducative, pédagogique et thérapeutique.

Il a défini les conditions auxquelles un projet soignant trouve son sens en précisant que cela ne dépendait pas de raisonnements ou d’analyses aussi brillants soient – ils, mais de la « repérabilité » des fonctions et de l’équilibre de leur expression.

Lorsqu’une fonction prend le pas sur les autres, disait – il, et réussit à les dominer, c’est alors un cancer institutionnel qui se développe.

A l’inverse, lorsque ces fonctions s’ordonnent institutionnellement selon un système repéré, articulé et complémentaire, la possibilité d’une position d’extériorité est maintenue à l’intérieur même du système global garantissant que le processus groupal n’évolue pas en négativisme pervers ou, de manière fermée, sur le mode paranoïaque.

Comme l’avait indiqué Tosquelles : « Le fonctionnement de l’équipe soignante est isomorphe à la structure du symptôme des patients qu’elle accueille. »

Dans nos métiers, il ne s’agit jamais seulement de supporter des personnes en souffrance, mais bien d’être inconsciemment et intimement affecté par leur souffrance.

Cette diffusion au travers des limites poreuses et dissipatives des psychés est susceptible d’augmenter les réponses défensives. Elle fait paradoxalement du groupe soignants/soignés un groupe à risque du point de vue des inductions pathogènes.

A cet égard, l’analyse des pratiques agit un processus de réorganisation psychique dont le groupe est l’analyste, l’intervenant étant co générateur d’associations depuis sa position d’extériorité.

Les éléments psychiques dont la réorganisation est attendue ont été décrits par W. BION qui conçoit le psychisme en registres du soma, de la pulsion, de l’affect, de la représentation de chose, de la représentation de mots, du concept et de l’abstraction.

La fonction de la psychanalyse étant d’instaurer ou de restaurer le processus de liaisons entre ces registres afin de réaliser une intégration.

Ces conceptions ont été reprises par D. ANZIEU et ont donné lieu à divers courants de psychanalyse groupale.

L’idée est ici d’aborder clivages et dissociations par la prise en compte des fantasmes archaïques du corps morcelé, d’omnipotence et de culpabilité qui fixent le transfert aux niveaux primaires et massifient les défenses psychiques.

Rappelons que dans nos cadres de prises en charges institutionnelles, les transferts persécutifs - manifestant les objets internes défaillants ou distordus - sont en première ligne et qu’il est indispensable de les analyser pour que l’institution n’apparaisse pas aux yeux de tous comme le réel de l’objet persécuteur, avec toutes les conséquences qui en découlent.

Si, dans cette conception de travail, le groupe est bien en position d’analyste, par quelle mise en mouvement des représentations l’analyse opère – t - elle ? Mon hypothèse pratique est qu’il s’agit là de la fonction du récit. Raison pour laquelle je me suis intéressé à la théorisation qu’en a fait l’ethnométhodologie.

2 – L’ethnométhodologie

L’ethnométhodologie est une discipline fondée au cours des années cinquante et soixante par H. GARFINKEL, Professeur de sociologie à l’université de Californie à Los Angeles. Le corpus de référence paraît en 1967 sous le titre « Studies in ethnomethodology ».

Cette discipline étudie les logiques locales dans les groupes tenant compte de l’apport de Y. BAR – HILLEL, logicien et chercheur à l’université de Jérusalem. Ce dernier avait développé au début des années cinquante l’analyse du phénomène « d’indexicalité » qui se manifeste par le fait que chaque fois que le contexte pragmatique d’un groupe change, la signification d’une expression change, car dans chaque contexte elle se réfère à des états de choses différents.

Cette approche permet de tenir compte de la tendance des groupes, notamment des microgroupes, à produire du sens sur un mode auto référencé.

Si on veut comprendre sur quels présupposés fonctionne tel groupe, si on veut l’aider à extraire le savoir de son propre fonctionnement, il est nécessaire de se faire une idée de son système d’interprétation interne.

Ce qu’il s’agit de comprendre avec le groupe c’est son interprétation de la justification de sa propre existence et des logiques de son propre fonctionnement.

Le processus interprétatif est donc toujours considéré en ethnométhodologie sous l’angle de sa fin pratique qui est, pour un sujet, d’identifier ce que GARFINKEL appelle les « allants de soi » du fonctionnement de son groupe d’appartenance, de son propre lien d’appartenance à ce groupe et d’accéder ainsi à un élément déterminant de sa propre position subjective.

De mon point de vue, l’apport de l’ethnométhodologie illustre ce dont il est question lorsqu’on utilise la notion freudienne de « transfert » pour rendre compte des inductions opérant dans un système relationnel en fonction de l’expérience passée de chacun des protagonistes. Analyser le transfert reviendrait alors à donner une lisibilité à des positions subjectives qui structurent le sujet.

Notamment, je suis particulièrement intéressé par le présupposé ethnométhodologique selon lequel le chercheur participe sur la base de ses propres positions subjectives à l’effort du groupe engagé dans la démarche d’extraction de ses savoirs pratiques. Cela correspond bien pour moi à une propriété fondamentale du processus transférentiel tel qu’il peut produire des effets de subjectivation dans la stricte mesure où il articule sur un mode inconscient la résonance et la confrontation des subjectivités.

Les présupposés de l’ethnométhodologie rejoignent , à mon sens, la logique des notions de co processus et d’étayage psychiques dérivant de la théorie de BION, ainsi que le concept d’enveloppes psychiques développé par D. ANZIEU pour expliciter l’interdépendance psychique entre le sujet et le groupe.

Ces présupposés font de l’ethnométhodologie une ethnologie qui développe un champ dynamique d’application qui a notamment permis, en France dans les années soixante dix, à des chercheurs comme D. BERTAUX d’entamer une réflexion sur la méthode sociologique dans un environnement professionnel.

BERTAUX a étudié le « récit de vie », puis le « récit de pratiques » résultant tous deux d’une forme particulière d’entretien : l’entretien narratif, qui apparaît comme une forme particulière du dialogue, un processus d’inter transformation entre les représentations mentales du narrateur et celles du chercheur.

Le rôle que joue le narratif dans la subjectivation est ici mis en exergue au travers des processus d’attention, des phénomènes de résonance et de convergence psychiques dont les fonctions, constitutives du psychisme, avaient déjà été mises en évidence en clinique du bébé et des liens primaires.

Ces orientations théoriques dérivées de la sociologie, et en rupture avec elle, m’ont donc conforté dans l’idée de l’importance du récit pour l’intégration psychique à l’intersection des processus individuel et groupal.

Il s’agit de réhabiliter l’effort pour dire ce qui s’est passé et comment ça s’est passé au lieu d’en rester à la question normative de ce qu’il faut ou de ce qu’il ne faut pas dire.

Cela dit, une restitution clinique de bonne qualité a pour condition un cadre pratique ainsi qu’une culture institutionnelle respectant l’ordre de succession des temps : pour voir, pour comprendre, et enfin, pour décider. Selon la formule reprise par LACAN.

Le temps pour voir est, pour nous, le temps de la présence, de l’activité, de la rencontre avec l’usager, de l’observation dynamique. Le temps du dire est déjà celui de la compréhension, de l’émergence progressive de l’hypothèse pratique qui va structurer le projet ; son fil apparaissant dans la transversalité des récits.

L’ethnométhodologie m’a orienté à reprendre la question du narratif pour approfondir la clinique. D’où mon choix d’intitulé : analyse des pratiques institutionnelles, plutôt que supervision, régulation, analyse institutionnelle ou une autre formule de la même série.

Je m’explique.

Aujourd’hui, les consultants issues de l’ingénierie sociale présentent l’idée qu’à chaque problème institutionnel correspondrait une réponse spécialisée. Considérant que :

- la supervision, du ressort de l’intervenant clinicien, traite des problèmes psychologiques du professionnels induits par le travail,

- la régulation, du ressort du psychosociologue, traite du dysfonctionnement de l’organisation,

- l’analyse des pratiques, du ressort du formateur pédagogue, traite des savoirs faire en situation,

et ainsi à l’avenant…

Il suffirait, dans cette optique, d’entamer l’action de formation par une phase diagnostic pour connaître les besoins et y répondre spécifiquement. Clef en main, si j’ose dire.

Mon expérience m’amène plutôt à considérer deux choses :

- les différents niveaux interdépendants du problème institutionnel apparaissent progressivement et que leurs compréhensions s’étayent réciproquement,

- l’élaboration menée par l’équipe ne porte jamais sur le seul traitement d’un problème mais aussi sur la reconnaissance de ses savoirs et de ses compétences,

Autrement dit, au delà des difficultés qui l’affectent, un groupe analysant sa pratique est toujours appuyé sur la question de son identité et l’intervenant, qu’il le veuille ou non, est impliqué dans cette question.

Tenant compte de ces éléments, je donne à l’intitulé « analyse des pratiques institutionnelles » le sens générique d’une entrée en matière, d’un point de départ, pour un travail dont il n’est pas pertinent de préjuger des orientations ultérieures.

Cela dit de mon usage particulier de la formule, l’analyse des pratiques est une pratique qui a elle même une histoire et qui s’est modifiée sous l’influence du contexte global.

Histoire et contexte de l’analyse des pratiques

L’histoire suit deux axes :

- la clinique psychiatrique telle que l’a développé le mouvement de la psychothérapie institutionnelle sur le mode d’une formation et d’une participation au soin intégrant tous les professionnels intervenant dans le quotidien du service,

- la pédagogie au travers de groupes d’enseignants recherchant concrètement l’amélioration de la situation d’enseignement et l’approfondissement de l’outil conceptuel.

Ces deux axes clinique et pédagogiques se combinent dés l’origine

On retrouve cette combinaison dans la conception de la pédagogie institutionnelle, avec Fernand Oury, Aïda Vasquez et Jacques Pain. Elle s’est prolongée dans les G.A.P. (groupes d’analyse des pratiques).

Aujourd’hui, on peut considérer qu’il existe sous l’intitulé « analyse des pratiques » un ensemble indéterminé et évolutif de présupposés théoriques qui rencontrent des situations concrètes.

Ce n’est pas surprenant si on tient compte du fait que l’analyse des pratiques est elle – même une pratique contextualisée selon des paramètres en évolution qui sont :

- les problématiques des usagers d’une part et des équipes d’autre part,

- le contexte social, économique et politique global

- les conceptions de travail de l’intervenant lui – même.

Ces fluctuations font que la réflexion sur l’analyse des pratiques d’ il y a vingt ans ne correspond pas à ce qu’elle tend à devenir aujourd’hui, ni à ce qu’elle sera dans dix ans.

Parmi les tendances actuelles, sur fond de récession économique et de crispation sociale, on trouve massivement la pensée manégériale qui est le plus souvent vécue par les professionnels sur le mode d’une intrusion.

La problématique à laquelle nous sommes actuellement confrontés est l’intégration de ces modèles à nos pratiques cliniques.

L’affaire est d’autant plus difficile que nos référentiels, de tradition largement orale, bien que constituant un véritable savoir théorico pratique démontrent aussi une insuffisance chronique de formalisation.

C’est dire que les professionnels sont d’autant plus réticents à l’introduction de nouveaux modèles qu’ils ne sont pas en mesure d’expliciter efficacement et de faire valoir leurs propres théories pratiques.

La tentation du repli sur soi risque alors de se renforcer, soulevant une vieille question : pourquoi les travailleurs sociaux ont - ils longtemps cru en l’illégitimité d’un regard sur leurs pratiques ?

Pour comprendre l’importance qu’a prise cette posture auto centrée dans nos secteurs il ne faut pas seulement appliquer la grille de compréhension du symptôme psycho défensif, mais aussi tenir compte de l’histoire des mentalités.

Au cours des décennies précédentes, sous l’impulsion de conceptions qui se sont installées dans les années soixante dix, les travailleurs sociaux revendiquaient de ne pas occuper une fonction socio normative. Moyennant quoi ils présentaient leur position sous la forme d’une norme d’autant plus efficace qu’elle était paradoxale : il ne fallait pas être normatif.

Ce syllogisme a eu un immense succès. Je veux dire que son maniement a permis aux fonctionnements institutionnels, aux groupes de professionnels, à une grande partie du secteur de se replier sur son propre fonctionnement avec le présupposé qu’il construisait ainsi l’identité de ses pratiques.

D’une certaine façon, l’institution chargée de l’aide psychosociale et du soin a mis en place pour elle – même l’exclusion du tiers.

C’était sans doute là le signe de sa naissance qui, comme pour toute naissance groupale s’effectue sous le signe de l’illusion, comme l’a indiqué Didier Anzieu. Cette période, pas plus qu’une autre, ne saurait donc être réduite à son symptôme et il faut aussi considérer sa créativité, son dynamisme et souvent les chances exceptionnelles d’évolution qu’elle a offert tant aux usagers qu’aux professionnels eux – mêmes.

Nous sommes actuellement dans une période de transition et, à ce titre, les tensions profondes ne peuvent en être comprises que si on comprend les présupposés de la période précédente.

Aujourd’hui les travailleurs de la psychiatrie, du médico social, du social sont en quelque sorte tirés d’une position de maîtrise bâtie sur le paradoxe d’une norme anti normative, vers un opposé dont la logique serait de les instrumentaliser comme prestataires dans le cadre d’un contrat de service.

Entre ces deux positions désubjectivantes apparaît une troisième voie contenant l’enjeu du sens des pratiques.

Signe de la recherche de cet espace intermédiaire, l’intervenant en analyse des pratiques est attendu par les professionnels sur le point d’une méthode pour la cohérence entre compétence individuelle et compétence collective. L’enjeu étant de mobiliser le potentiel technique de l’équipe pluridisciplinaire pour les objectifs suivants :

- accueillir et penser la problématique d’un usager,

- rechercher l’implication de sa famille,

- ajuster les dispositifs de prise en charge au projet individuel,

- maintenir l’élaboration réflexive sur les conceptions de travail et les dispositifs.

Ce dernier point implique de faire clairement la distinction entre les dispositifs internes d’analyse et d’élaboration de la pratique, tels que les réunions de synthèse ou les coordinations, et le dispositif externe animé par un intervenant extérieur.

Dans certains cas l’intervenant peut découvrir que l’action de formation est comprise comme ayant fonction de compenser une carence interne de l’analyse des pratiques. On me dit par exemple : ça fait du bien que vous nous rameniez vers la clinique parce que depuis des années nous n’avons plus de réunions de synthèse. Dans pareils cas il est essentiel que l’intervenant sache que sa fonction n’est pas de compenser, mais d’aider le groupe à définir la demande et à faire l’inventaire des moyens mobilisables pour relancer la fonction clinique interne et réactiver ses référents institutionnels.

Pour conclure : les conditions du récit clinique

L’équipe pluridisciplinaire est l’outil de l’élaboration en clinique institutionnelle, ses capacités de liaison psychique vont bien au delà de la somme des compétences individuelles réunies.

Cette richesse potentielle a une contrepartie : le groupe soignant est un environnement à structure fragile.

Considérons ce qu’implique, sur un plan psychique, le fait de prendre la parole dans une équipe : le récit n’est pas seulement déclaration d’un contenu, il est aussi exposition inconsciente du positionnement de celui qui énonce vis à vis de ceux qui écoutent.

Dire « performe », disait le linguiste AUSTIN, ceci implique que le fait de dire peut réaliser un nouveau réglage de l’être ensemble ou bien bloquer le groupe sur un mode rigidifié de l’être ensemble.

Le récit est d’abord une adresse, une forme du dialogue, la réalisation d’une socialité.

Ce qui a été dit, comme ce qui a été fait, peut s’effacer, mais ne peut pas être effacé. D’où le tragique affectant l’ordinaire de la vie des groupes et des générations 4 .

Aussi, n’est - il pas surprenant que la question de la prise de parole dans le groupe soit une affaire délicate qui appelle un cadrage repérant. A savoir, une organisation pertinente de réunions aux fonctions complémentaires et articulées, chacune clairement définie quant aux participants, à ses objectifs et à son mode d’animation.

Une équipe pluridisciplinaire ne peut assumer sa tâche clinique qu’en se donnant un fonctionnement fiable.

Car il faut être en confiance pour dire sa clinique jour après jour, année après année ; les prises de parole produisant, à la longue, un effet imparable de dévoilement du régime pulsionnel et narcissique de celui qui les effectue.

C’est ce qui permet de dire que le groupe, en tant qu’instance d’écoute, se trouve en position d’analyste de ceux qui le constituent.

Qu’en fait – il ?

La même question se pose des professionnels auxquels les usagers se confrontent et se confient au cours de prises en charge parfois longues.

Que font –ils eux aussi de l’ intimité dont ils sont témoins et qu’ils partagent, de fait, en partie ?

L’intervenant extérieur se confronte au fonctionnement d’une équipe, il est témoin de la manière dont les professionnels parlent leur clinique, font circuler la parole. Il se trouve de ce fait en situation de comprendre le fonctionnement profond d’une équipe et, parfois, d’un établissement.

Là aussi, qu’en fait – il ?

Ceci pour éclairer les points suivants :

- ce qu’on appelle position de l’analyste en institution relève d’un effet de structure ( l’écoutant devenant tour à tour le parlant ) dont l’intervenant extérieur fait partie le temps de son intervention.

- L’ensemble des investissements psychiques se développant dans le champ institutionnel s’étayent mutuellement pour constituer la trame transférentielle de la pratique.

- L’intervenant utilise l’effet transférentiel que suscite son extériorité pour analyser ce qui rend la parole difficile dans le groupe, à savoir les phénomènes perturbant le développement de la trame transférentielle.

L’état du processus transférentiel dans une équipe se constate facilement. Une équipe où la modalité de la parole ainsi que son contenu sont ritualisés, une équipe où se sont toujours les mêmes qui se taisent et toujours les mêmes qui parlent, est une équipe malade ( elle n’utilise pas le processus transférentiel pour penser la pratique, mais pour tenter d’en jouir ).

Par exemple, dans les groupes à fonctionnement pervers, la prise de parole clinique est inaccessible en tant que telle car le groupe obéit au présupposé implicite que toute chose dite l’est pour agir un rapport d’influence et de domination. On y parle donc des conflits interpersonnels, ce qui est une manière d’exercer un contrôle des uns sur les autres, mais il est impossible d’aborder réellement le vécu de la pratique ( si on l’aborde c’est pour agir autre chose ).

Ces situations attestent du fait que le groupe est resté gelé dans son organisation interne et n’a pas été en mesure de développer un processus de transformation au cours du temps.

De tels fonctionnements montrent les limites de l’analyse des pratiques ainsi que l’importance de la gestion du personnel pour créer, ou maintenir, une équilibration qualitative du groupe professionnel.

Bibliographie

Anzieu et al., Le travail psychanalytique dans les groupes, Dunod, 1972

Anzieu, Les contenants de pensée, Dunod, 1993

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Blanchard-Laville et Fablet et al., Sources théoriques et techniques de l’analyse des pratiques professionnelles, L’Harmattan, 2001

Coulon, L’ethnométhodologie, P.U.F., « Que sais – je », 1987

Delion, Actualité de la Psychothérapie Institutionnelle, Matrice Pi, 1994

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Lecerf et Parker, Les dictatures d’intelligentsia, P.U.F., 1987

Ouzilou, « L’intervention dans les institutions », in revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, n° 32 C, érès

Tosquelles, De la personne au groupe, érès, 1995

1 Intervention pour les animateurs des groupes d’analyse des pratiques, centre de formation ERASME – CEMEA, Toulouse le 16/11/05.

2 Psychologue, Intervenant en formation pour l’analyse des pratiques.

3 Alberto Giacometti, « Je ne sais ce que je vois qu’en travaillant », édition l’Echoppe, 1993 ; Je dois à Rémy Puyuelo d’avoir découvert ce remarquable petit texte.

4 Toute la tragédie grecque ancienne est bâtie sur cette démonstration à commencer par l’Orestie, les trois pièces d’ESCHYLE qui racontent la malédiction de la lignée des Atrides.

Commentaires

l'ANALYSE 4 4

l analyse de toute situation permet de developper une discution de qualite donc une ouverture vers d autres idees ;ainsi , il y a echange et cela est essntiel pour vivre dans l'epanouissemt, dans la vie en outre dans tous les couples ET BIESUR chez tous les e^tres humains

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