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Témoignage sur un terrain miné

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Daniel DEMEY

jeudi 04 juin 2009

Témoignage sur un terrain miné

Adossé à la culture du management, la prison déposerait des bombes à retardement dans son propre champ, hygiénique et efficace en apparence. Elle créerait un entourage de sinistre comparaison avec celui des mines, barbelés et miradors d’autres conditions d’enfermement : La culture dominante.

Réflexion à partir d’ une dégradation sournoise et visible des rapports entre l’administration pénitentiaire et une institution d’éducation et de formation en prison.

Ce qui se passe dans cette prison est probablement un exemple du mouvement caché, de la lame de fond qui risque bien d’annihiler un apport subjectif du travail des institutions de la Communauté. Il s’agit d’une pollution inquiétante à l’ordre manageriel et d’une contamination de tout intervenant à la culture- véritable bacille-de l’ entreprise néo-libérale.

Un seul monde, une seule réalité, un seul dogme : obéissance procédurière… (pour les amis, procédordurière)

1 Une succession de petits faits

La prison X est une petite prison de province à quelques encablures de Bruxelles ( + /- 250 détenus) Elle échappait au modèle de gestion d’entreprise très discipliné, procédurier d’autres prisons belges. Une partie du personnel critiquait ce laxisme apparent où des marges de fonctionnement subsistaient. Après des incidents graves –feu à l’une des ailes de la prison- un vent de réformes et de discipline a soufflé. Toute l’équipe de direction a été changée. De 3 directeurs, la prison est passée actuellement à 5 et un poste administratif de direction comptable a été créé.

Depuis le 1er février 2009, nous, formateurs, éducateurs de la prison X, nous ne pouvons plus circuler dans les ailes lorsqu'une nécessité professionnelle se fait ressentir pour y accomplir des tâches utiles et nécessaires: aller faire signer des documents administratifs urgents, afficher des informations, distribuer des feuillets d'information, faire une information individualisée, de cellule à cellule, rendre visite, à sa demande à un détenu pour visionner son travail de dessin, de peinture, ou d'aménagement même de sa cellule, s'entretenir avec lui de son absence ou de sa motivation pour sa formation...

On nous octroyait un téléphone mobile pour compenser l'absence de téléphone fixe dans notre local. Ce poste mobile nous est dorénavant refusé.

Ces restrictions de déplacement et de contact représentent un changement important vis à vis de pratiques qui étaient courantes dans un passé récent dans cette prison.

Un téléphone permet facilement, sans chicane supplémentaire, d'obtenir du centre un renseignement: Le détenu untel a-t-il été bien appelé? Les détenus présents peuvent-ils retourner en cellule? Peut-on rappeler un détenu dont on sait que le travail se termine à une telle heure? Il y a une panne de courant, un agent de la technique peut-il intervenir? Etc..

Une série de petites choses qui de ne pas pouvoir se faire peuvent empoisonner une journée de travail. Insister auprès du centre, être en contact direct avec lui permet d'informer, de savoir ce qui se passe, de mieux communiquer.

Un mouvement dans la prison peut faire oublier au centre qu'il y a une liste de détenus à appeler. Un changement de personnel au centre peut avoir les mêmes effets.

En ce qui concerne la circulation, ce qui était une pratique habituelle, une tolérance accordée de bon aloi- il suffisait en général de prévenir le centre ou un membre de la direction qu'on désirait se rendre dans le cellulaire- requiert maintenant une autorisation exceptionnelle.

Il y a quelques semaines, nous avons eu des problèmes pour entrer une clé usb servant de support à nos activités (cours d’informatique, atelier « journal »). Il nous a fallut attendre plusieurs mois pour que nous puissions à nouveau entrer en prison avec cet outil de travail bien nécessaire. En attente d’une réglementation générale à toutes les prisons –à propos de laquelle nous ne nous faisons pas trop d’illusions- l’entrée avec une clé USB est tolérée.

D’autres restrictions sur le matériel viennent encore de s’ajouter : demande de régénération des vieux ordinateurs obsolètes ou au disque dur insuffisant, tables graphiques ont été refusées sous le même motif.

Une demande de transférer un ordinateur pourtant déjà en prison vers un autre local actuellement dépourvu de cet outil essentiel à certaines pratiques a reçu une réponse laconique « Nous analysons la possibilité d’une extension logistique ».

D’autres mesures administratives ou d’ordre sont prises. Une liste de détenus participant à une formation diplômante est clôturée avant son démarrage.

Il a fallut se battre pour que l’usage antérieur qui permettait d’accepter de nouvelles demandes encore jusqu’à 2 mois après le lancement de la formation ne soit pas totalement aboli.

Le professeur de cuisine gérait le retard. Il est signalé pour une question administrative qu’il n’y aura pas d’ajout (paiement des détenus en formation). Après insistance, une liste de réserve est acceptée du bout des lèvres et à nouveau, exceptionnellement sans aucune garantie d'application, que de nouveaux participants pourront peut-être accéder à la formation.

Or, là aussi, nous savons d’expérience que le premier mois, plusieurs abandons sont susceptibles d’intervenir. Pouvoir inclure des gens à la formation est un gage pour arriver à son terme avec quelques personnes au moins.

Pour l’organisation des formations non-qualifiantes que notre institution indépendante à l’administration propose- atelier informatique, cours de français remise à niveau et langue étrangère, activité d’un journal de détenus, l’évolution a été la même dans le sens d’une restriction des moyens et de méthodes.

Au cours de cette réunion, notre souhait était de présenter et de discuter de nos fonctionnements. Un dossier a été remis à chaque participant expliquant nos actions et les désideratas pour bien ou mieux fonctionner.

Le cours informatique est présenté comme un atelier individuel, avec entrées ouvertes des candidats à la formation. Une organisation précise des listes était appliquée. Un détenu avait la possibilité de suivre 3 ou 4 séances sur les 6 que compte l’atelier. Le professeur dès qu’une autorisation de suivre le cours était donnée gérait la distribution dans les listing en fonction des places libres (départs, libérations…) ou changements dans les horaires de travail des détenus. Une personne pouvait ainsi, en fonction de ces changements, passer d’une présence temporaire d’ 1 séance (souvent en début de formation) à 2,voire 3 dès qu’une place était libre. Et l’inverse était d’application aussi. Un détenu pouvait commencer avec 3 séances et suite à l’ouverture d’un poste de travail rémunérateur, limiter son accès à l’atelier à 1 séance.

Chaque fois qu’une modification était proposée, la liste préalable d’appel était remise au centre par le professeur.

Cette organisation souple et efficace n’a fait l’objet d’aucune évaluation collégiale. Aucune discussion à propos des faiblesses ou des avantages de ce système rodé pendant des années n’a été entreprise sérieusement. En général, jusqu’à ce que des changements interviennent au niveau de la direction, aucune plainte majeure n’avait été formulée par les surveillants du centre ou des ailes concernant le dépôt de ces listes, l’ajout ou le retrait semaine après semaine de participants.

Pour nos actions, nous fonctionnions sur ce principe de formation ouverte à l’intérieur d’un module proposé pour 3, 6 ou 12 Mois.

L’absentéisme récurent (pour de bonnes et moins bonnes raisons) des stagiaires, la précarité des groupes sur le long terme, l’indécision, la méfiance des détenus par rapport aux offres de formation, tout cela nous a orientés vers le développement d’un travail pédagogique individualisé, tourné vers la personne, ses intérêts, ses préoccupations.

L’individualisation du travail pédagogique en prison représente une avancée dans la prise en charge des détenus. Les parcours individuels, la personnalité des détenus sont tellement particuliers qu’une classe ne peut fonctionner sur l’idée d’un niveau de base standard et d’une progression d’ensemble homogène.

Pour l’ accès à nos cours, hormis les restrictions importantes dans l’outil et la manière de faire passer l’information- plus de contrôle des formateurs sur l’affichage, la communication de petits folders, plus de tour des cellules et l’établissement d’un contact direct pourtant reconnu par presque tous les intervenants comme un élément d’accrochage déterminant, plus de soutien individuel à la motivation en passant occasionnellement dans le cellulaire même à la demande du détenu…Nous sommes passés concrètement de la demande d’autorisation de fréquenter nos cours à faire signer par un directeur, à la restriction de l’octroi de cette autorisation par une seule personne du staff de direction -ce qui complique et introduit une lenteur administrative supplémentaire, la directrice requise n’étant pas toujours là, prenant des congés, étant malade, occupée…

Mais dorénavant, et comme si cela ne suffisait pas encore, les listes ne peuvent être revues qu’au démarrage d’un module de formation. Finies donc le principe de la formation ouverte.

Plus personne ne peut-être ni rajouté, ni retiré d’une liste, même si elle n’est plus là. Nous avons des personnes sous bracelet électronique depuis des mois qui figurent encore sur ces listes et nous devons les répertorier comme « absents ».

L’effet immédiat est une baisse de fréquentation importante à nos activités. Des détenus demandeurs de formation attendent de longues semaines avant d’accéder à une activité qui pour eux représente souvent une bouée, un espace de respiration. Pour un nouvel entrant, fréquenter un cours, avoir un contact avec quelqu’un d’extérieur à la prison est parfois ce qui va lui permettre de se libérer de son angoisse. Un présence rapide à une activité est une prévention importante en terme de santé mentale. Combien souvent une parole échangée avec un « extérieur bienveillant » n’a –t-elle pas évité un « pétage de plomb » ?

Parfois, l’activité, faute de cet apport de nouvelles recrues est parfois abandonnée alors qu’il y a des demandes. Un cours de Yoga a été supprimé, une activité de musique refusée faute d’un quota de participants jugé insuffisant (4 personnes), une autre activité de musique compromise.

La préoccupation majeure affichée par la direction est de savoir précisément qui fait quoi, où comment dans un ordre strictement planifié. Plus question de modifier des comportements selon les avatars de la survie carcérale –attribution d’un travail, changement d’horaire…- même pour participer à des activités qui sont individualisées.

Nous rencontrons-là les phénomènes de l’assignation à et de la prévision.

2 Elements d’analyse :

Disparition des zones floues, un monde à l’ image de sa prédiction : le bon travail .

- La contrainte de « l’assignation à » est déjà présente dans le phénomène des murs de la prison. Les modalités de fonctionnement- programmation du temps, des mouvements, des contacts aggravent cette contention déjà extrêmement puissante.

Ces modalités de contrôle et de surveillance de l’activité des détenus, de leurs mouvements produisent des effets d’enfermement supplémentaires, elles sont vécues mentalement et à juste titre comme un harcèlement disciplinaire, une mise au pas parfois dévastatrice.

Le déploiement d’un arsenal technique et administratif-bureaucratique de type manageriel réglemente plus « efficacement » le temps, l’espace, les mouvements, les occupations, les activités de toutes sortes. Cette nouvelle « efficacité » s’applique à tout le monde en prison (surveillants, formateurs, psy, visiteurs…) Sous son couvert rutilant –car qui ne voudrait pas se sentir efficace-elle cache une idéologie de la contrainte, de la ségrégation de plus en plus serrée, procédurière qui cadenasse la situation carcérale et la réduit à la prévision qu’elle veut organiser.

Le dogme de cette pratique organisationnelle est de mieux savoir ce que les gens font à quels moments et avec qui. Et si ce n’est pas dans le contrat d’occupation du temps et de l’espace, il faut éviter que cela se passe. On invoquera soit la sécurité, soit la compétence injustifiée…

Voici un petit exemple qui peut être répéter à l’envi dans d’autres domaines relationnels. Qu’un seul directeur ne signe les autorisations d’entrée en formation simplifie ou améliore peut-être sur papier la tâche en la centralisant et en la spécialisant. Un poste et une fonction, apparaît comme mettre de l’ordre. Mais cette assignation restreint aussi le contact entre les formateurs extérieurs à un seul membre de la direction. Les formateurs ne connaîtront qu’un seul directeur, quand ils en croiseront d’autres dans le couloir, ils ne se reconnaîtront pas. On rétorquera que cela n’est pas nécessaire puisqu’ils n’ont rien à se dire professionnellement et rien à faire ensemble, qu’ils peuvent donc s’ignorer.

Dans une telle froideur, bonjour l’ambiance. Mais on n’est pas là pour s’amuser.

A défaut de s’entendre ou d’un bon contact entre les personnes assignées à se fréquenter exhaustivement, on peut déjà mesurer l’inconvénient, l’obstacle lourd face à l’objectif d’efficacité avancé au départ. Contraindre que vous n’aurez à faire qu’à cette personne-là pour établir des rapports professionnels n’élude pas la réalité des relations humaines faites de sympathie, de confiance, mais aussi de méfiance, de résistance et de toutes les ruses que ces facteurs occasionnent.

L’effet de cette spécialisation, de l’organisation outrancière – savoir ce que fait qui, quoi et comment, réserver, planifier à un plus petit dénominateur les rencontres entre intervenants, comme entre intervenants et détenus- est le cloisonnement et l’isolement des protagonistes.

D’un autre point de vue, le corollaire de la « simplification » des tâches en les spécialisant met chacun sous surveillance et permet à un moment ou l’autre d’intervenir sur les maillons déficients. La tâche de chacun, le lieu strict et le moment de son intervention précisément établis, permettent le chiffrage, le mesurage de l’action comme premier et souvent unique moyen d’évaluation qu’il faudrait plutôt appeler « contrôle ».

-La logique managerielle et ses outils bureaucratiques se déploient dans une logique mécanique, paranoïaque. « La connaissance paranoïaque est cette modalité de la connaissance qui réduit le monde à la réplique du moi, par quoi ce qui est connu est toujours ramené à une forme préalablement reconnue. » 1

L’organisation présuppose l’action comme un objet que des moyens techniques, cognitifs, psychologiques cerneront au mieux et rendront à l’image d’un but appelé « objectif ».

Sous le vocable de l’efficacité se déroulent les anneaux du monstre étouffant et dévorateur de l’humain dans son incertitude et son échappée au savoir. 2

L’action est réduite à un fonctionnement dit « intelligent », mais d’une intelligence de ses supposés rouages et de sa mécanique. Elle réduit le sujet à une application mesurable, chiffrée, elle est vouée à fonctionner-ce qui est le propre d’une machine-sans auteur, autistiquement, essentiellement tournée vers ses buts définis et impliquée dans sa stratégie opérationnelle. Fini le flou artisitique, finie l’incertitude, terreau de la création, finie la gageure du bricolage. Seulement du vrai, de l’objectif, du palpable et du définissable.

A la tête de cette action, il n’y a plus qu’ une conception organisatrice du monde, une conception de l’objet et de l’action tendue vers un but dans une pédagogie efficace, en étapes programmées.

Cette image de ce que doit être la réalité et l’action est obtenue après le rassemblement d’expertises par une unité centralisée opérant leur synthèse – le top manager et son équipe la plus proche de hauts gradés- établissant une stratégie.

Ce plan d’action labellisé officiellement, le top manager dispatche en aval l’orientation et les tâches préconisées à une cascade de lieutenants ou d’officiers subalternes qui s’adresseront à la troupe.

L’action est quasiment militaire et tout le monde doit y participer. La transversalité horizontale y est réduite à sa plus simple expression. Ni dialogue ou alors de pure forme, ni consultation véritable à partir du moment où l’expertise scientifique, universitaire a été établie en haut lieu.

Le savoir profane de l’expérience, du bricolage est jeté à rien.

Le modèle s’entretient dès sa conception, dès la récolte du résultat d’expertises chiffrées seules à mêmes d’établir les preuves d’une efficacité ou d’une « inefficacité » dans un domaine et se répercute à tous les niveaux à travers l’exigence de rendre ces chiffres.

Toute action devient chiffrée, et personne n’y échappe. C’est dans l’air du temps. Une politique est jugée sur les chiffres (au sondage, puis aux urnes), les ministres en France sont « évalués » sur le chiffrage de leur actions, de leur programme et objectifs, les médecins aux médicaments qu’ils prescrivent, les enseignants aux résultats des élèves, les policiers ou agents affectés à la récoltes des amendes de parking…)

Ce modèle est ni plus ni moins et dès sa formulation « scientifique », depuis la récolte des données jusqu’à sa mise en œuvre et sa ré application en boucle par retour de contrôle-« d’évaluation », une forme d’organisation militaire, la mise en œuvre d’un délire paranoïaque appliqué à la réalité humaine, nécessitant l’adhésion de tous ou bien leur élimination.

La prison actuellement déploie ce modèle organisationnel de ruche, elle file un bien mauvais coton dont elle veut rester aveugle. D’un côté elle ne fait que se plaindre d’une augmentation de la violence, de l’autre, elle ne voit pas la violence à laquelle elle participe en traitant les relations humaines et professionnelles- dans toute sa hiérarchisation -du directeur de l’administration centrale au détenu en passant par tous les fonctionnaires ou personnels assimilés-sous le mode paranoïaque de son modèle « scientifique » à optimaliser.

Elle fait se rejoindre l’objectif de sécurité et celui de réinsertion, mais en prenant une assurance tout risques, c'est-à-dire restant de plus en plus strictement sur le plan imaginaire de son modèle propre, soit sur celui de sa méfiance en l’incertitude constituante de la condition humaine et sur celui de sa confusion à l’idéal de plier cette incertitude en une certitude d’efficacité, sous le label scientifique.

Cette idéologie de l’action trouve ici encore, dans ce nouveau mode imposé de fonctionnement des formations en prison de quoi combler son appétit féroce.

Le seul résultat de ce genre de pratiques « régulatrices et mettant soi-disant de l’ordre » est d’encore plus sérier, classer, mesurer, chiffrer, fermer les espaces et les intersections d’espaces, de créer de l’isolement supplémentaire, de la souffrance silencieuse et de la violence intérieure.

-3 Conclusions

Là où une angoisse ou un important malaise du fait de l’incarcération pouvait trouver une issue, une bouée, un îlot d’apaisement temporaire dans la fréquentation rapide d’un cours, d’une formation, grâce à la rencontre bienveillante avec un personnel professionnel extérieur, des semaines, des mois d’attentes ne peuvent qu’amener à l’exacerbation de ce malaise, à l’établissement d’un sentiment d’abandon, au désespoir ou au repli cynique et haineux vis-à-vis de tout intervenant, puisque derrière chacun d’eux se cache quand même un valet un suppôt de cet ordre administratif, procédurier et bureaucratique !

Les nouvelles mesures imposées pour les activité de formation, sous couvert de mise en ordre, de redéfinition des rôles et des tâches, d’efficacité théorique, de responsabilisation des détenus à travers la contractualisation, sont des mesures qui se réfèrent à un modèle idéal de fonctionnement où les procédures, l’organisation bien pensée a prévu ce qu’il faut pour le meilleur de tout le monde. Le hic, c’est que ces préceptes manageriels ne tiennent pas compte de ce qui reste de vivant dans le monde carcéral aussi, de l’échec inhérent des procédures dans ce monde confiné, car il existe toujours un événement, une résistance, quelque chose qui cache un sens, du côté des détenus comme des travailleurs pour que surgisse ce qui ne colle pas à la situation et à la prévision.

Le tout alors est de voir sur qui faire porter la responsabilité de l’échec. On regardera les chiffres d’un côté, ceux qui doivent en faire, et de l’autre, ceux qui les vérifient.

Pour les uns, la conséquence n’est pas directement affectivement dommageable (« ce sera bon demain », « on est nommé, au pire on ira ailleurs »…) tandis que pour les autres, les détenus, la sanction est quasiment immédiate, elle est souvent sans recours, vécue catastrophiquement comme la mainmise d’un pouvoir qui a tout pouvoir et surtout celui de ne jamais rien reconnaître au-delà de ce qui est établi théoriquement sur papier et qui règle d’avance les conflits.

« Tu n’es pas venu, tu ne t‘es pas inscrit à temps, tu n’as pas lu les affiches pourtant placardées, tu n’as pas rentré ton rapport à l’heure, tu dormais ce jour-là, tu avais le spleen et tu t’es laissé aller… »

Le hiatus, l’équivoque du malentendu sont niés comme une part inhérente du dialogue, de la situation sociale où le langage intervient et ce qui cloche, ce qui rate est rejeté dans une responsabilité unilatérale mise sur l’autre, celui en défaut de procédure, avec à la clé- puisqu’il faut sensibiliser et responsabiliser- l’application vaniteuse d’une moralisation procédurière : « Il n’avait qu’à, c’est de sa faute » et au pire quand cette discipline morale est intégrée : « Je n’avais qu’à, c’est de ma faute ! »

Ainsi, « Formez les détenus à la réinsertion sociale » prend à travers ce développement tout le sens politique dans lequel une telle injonction est prise, soumise qu’elle est aux impératifs gestionnaires du : « Apprendre quelque chose, c’est d’abord apprendre à être docile et opérationnel dans le contexte de la bureaucratie, c’est faire preuve de la seule capacité sociale qu’on vous reconnaîtra sitôt sorti, à savoir celle d’obéir aux procédures, aux normes de la conformité théorique sociale, de vous mettre au pas de la discipline de fer de l’ordre gestionnaire ».

Si cette injonction est lancée à l’adresse des détenus, elle s’impose sournoisement par le biais des réformes disciplinaires, de remise en ordre des procédures, aux organismes de formation et aux formateurs théoriquement indépendants des Communautés, à l’ensemble des travailleurs, tant est que l’idéologie gestionnaire et son idéal d’action chiffrable, mesurable tiennent lieu d’efficacité, de sens moral pour l’action, tant est que cette idéologie est celle au service de ce qui domine notre monde actuellement, le système de production capitaliste adossé à la science et à la technique, déployant son hégémonie tous secteurs confondus..

Voilà quelques raisons, conséquences et implications de ces mesures.

De quelle orientation sociétale « ces mises en ordre » sont-elles les symptômes ? Quel monde nous prépare-t-on ? Quelle fonction remplit nouvellement la prison et comment elle cherche à l’imposer à tous ses intervenants?

A ce sujet, et pour conclure, une citation de Lacan rapportée par J Stevens 3 qui devrait résonner lourdement au ciel des illusions contemporaines sur le travail, l’efficacité et l’orientation actuelle des directives de l’ordre gestionnaire :

« Dans la « Proposition du 9 octobre 1967 », Lacan dit à propos des camps de concentration: « (…) nos penseurs, à vaguer de l’humanisme à la terreur, ne se sont pas assez concentrés. Abrégeons à dire que ce que nous en avons vu émerger, pour notre horreur, représente la réaction de précurseurs par rapport à ce qui ira en se développant comme conséquence du remaniement des groupements sociaux par la science, et nommément de l’universalisation qu’elle y introduit. Notre avenir de marchés communs trouvera sa balance d’une extension de plus en plus dure des procès de ségrégation. 4 »

Daniel DEMEY

3 juin 2009

P.S

Ce texte, de fond, basé sur des faits de fonctionnement reprend ma pensée sur cette situation désolante que nous vivons actuellement à X, petite prison belge.

Je vous en propose une diffusion, une communication aux personnes intéressées du monde de l’associatif et des prisons.

Penser et « Apprendre à penser » n’est pas un crime.

Frank Chaumon « Lacan : la loi, le sujet, la jouissance » ed Michalon ,collection « le bien commun », dirigée par A.GARAPON

Anaconda des marécages du malaise dans la civilisation ou boa constrictor de la forêt profonde de l’inconscient.

3 Camp de concentration, marché commun et ségrégation*Alexandre Stevens, Ornicar , Intervention présentée à la journée du Cien à Barcelone le 27 juillet 1998

- Lacan (J.), « Proposition du 9 octobre1967 », "Scilicet", 1, Paris, Le Seuil, 1968, p. 29.

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