Le Forum de Barcelone et les orientations du 4e plan Autisme*
par Éric Laurent
Le Forum international de Barcelone « Autisme et politique » du 7 avril a immédiatement suivi le dévoilement en France du 4e plan Autisme, les 5 et 6, par le Premier ministre Édouard Philippe et la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel. Le président de la République et sa femme – spécialement intéressée par les questions que pose l’accueil des personnes avec autisme – ont fait une visite très médiatisée à l’un des nouveaux centres de diagnostics hospitaliers précoces.
La France compterait environ 700 000 enfants autistes, soit une prévalence de 1 % de la population, selon les derniers rapports de la Cour des comptes ou de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Le plan a révélé une tendance de la recherche à inclure maintenant les « troubles du spectre autistique » (TSA) dans les « troubles du neurodéveloppement » (TND), catégorie plus générale qui engloberait 5 % de la population. Il y a donc ceux qui s’inquiètent de cette extension : « Aujourd’hui, comment ne pas être perplexe devant cette maladie multiforme qui renvoie à une symptomatologie bien large, allant de manifestations passagères à d’autres très lourdes et sans guérison aucune ? » (1) Il y a aussi ceux qui font apparaître l’élargissement du problème comme une solution : « C’est certes hétérogène, mais cela s’inscrit dans un groupe de maladies dites neuro- développementales qui représentent, elles, un ensemble de manifestations très larges, allant de la dyslexie à des retards profonds. » (2) Plus besoin d’une unité de description ou de destin. Pour ces experts, classer « TND » suffit.
Cette variété à laquelle nous sommes confrontés comme psychanalystes, nous en prenons acte. Pas plus que les comportementalistes, nous ne nous prononçons sur les causes présupposées ou les difficultés translationnelles d’articuler la recherche avec des propositions cliniques effectives (3). Nous agissons à notre niveau. Ce n’est pas celui du comportement, mais celui de l’interaction. En tant que psychanalystes, nous recherchons des moyens de toujours mieux entrer en relation avec les sujets avec autisme, dans l’enfance, après l’enfance, encore quand ils deviennent adultes, et avec leurs parents.
Dans cette perspective, nous nous réjouissons avec Claire Compagnon, militante des droits des malades et inspectrice générale des affaires sociales qui a présidé à l’élaboration du plan, de son orientation non ségrégative : « Tout est fait pour que l’on passe d’une logique de relégation des autistes dans les établissements à une logique d’inclusion dans la cité. » (4)
Pour les enfants, limites de l’apprentissage coercitif
Le nouveau plan autisme met l’accent sur le diagnostic précoce, crucial pour organiser le plus tôt possible un accueil digne de ce nom. Pour autant, un diagnostic précoce ne doit pas automatiquement entraîner une intervention massive précoce avec une seule méthode, l’apprentissage coercitif. En effet, la recherche a montré les limites de l’efficacité de cette approche. Il faut rappeler ces limites pour éviter une nouvelle forme de culpabilité chez les parents, celle du parent « qui n’en fait pas assez » pour donner toutes ses chances à son enfant d’évoluer positivement et de suivre une scolarité normale, et qui s’épuise à se transformer en coach TCC de son enfant.
Les limites qui apparaissent sont de trois ordres. Le premier s’est imposé du point de vue des défenseurs de l’Autistic Brain (5). Dans cette perspective, étant donné que l’autisme a une modalité cognitive et une intelligence particulières, il faut s’en inspirer et lui être docile. L’apprentissage coercitif force le sujet à suivre des contraintes qui lui resteront étrangères. Non seulement on lui fait violence mais, en plus, les résultats seront faussés par ce forçage (6).
Certaines limites se sont fait connaître par des exemples singuliers hautement médiatisés. En France, l’animatrice de télévision Églantine Éméyé « raconte dans un livre et dans un documentaire les échecs successifs de la prise en charge de son fils, et elle n’épargne personne. Lorsque l’autisme de son fils a été diagnostiqué, dès l’âge de 3 ans, elle s’est tout de suite orientée vers l’ABA [...]. Elle a d’abord eu recours à des professionnels libéraux, à domicile, puis a monté une association et un petit établissement ABA, finalement financé par l’assurance maladie à titre expérimental [...]. Mais la méthode a été un échec pour son fils : “Elle a exacerbé tous ses troubles.” Samy est atteint d’un autisme sévère : il ne parle pas, souffre d’épilepsie, se mutile au cours de crises nocturnes d’une grande violence. Églantine Éméyé s’est finalement résignée à confier Samy à un établissement sanitaire pour polyhandicapés, où les soins qu’il reçoit l’ont apaisé » (7).
Enfin, des résultats recueillis auprès d’une série de centres expérimentaux comportementalistes autorisés par l’administration, aglomérés de façon contrôlée, montrent que les interventions comportementales intensives précoces permettent d’améliorer les capacités cognitives et les compétences linguistiques de 50% des enfants traités, mais que, même chez ceux-là, les effets sont faibles sur l’essentiel, à savoir les capacités permettant une insertion sociale. Le résultat de l’expérimentation des 28 structures expérimentales françaises chargées d’établir le bien-fondé de la méthode ABA est à cet égard édifiant. Bien qu’elles aient été placées dans des conditions idéales de financement et d’encadrement, des observateurs indépendants ont constaté après cinq ans de fonctionnement que le taux d’insertion en milieu scolaire s’y avère étonnamment faible, environ 3% (8). D’où la nouvelle approche: commencer tout de suite par l’insertion scolaire précoce. «Là où le
Royaume-Uni scolarise 70 % des enfants autistes, nous sommes à un petit 40 %, avec des ruptures de parcours. Or, l’école est la clé de l’inclusion sociale. L’obligation de scolarisation à 3 ans s’appliquera à tous, grâce à des modalités d’accueil spécifiques comme les unités d’enseignement maternel, dont le nombre va être triplé. » (9)
L’approche que nous proposons part du fait que les jeunes autistes ont une particularité. En général, ils ont un objet de prédilection, élu, qu’ils ne lâchent plus et qui les accompagne. On a pu parler d’« objet autistique ». On peut soit considérer que cet objet induit de mauvais comportement et essayer d’en séparer l’enfant, soit partir de cet intérêt, puis complexifier le monde de l’enfant à partir de cet objet. En France, les traitements des sujets autistes, inspirés par la psychanalyse, tiennent compte des avancées de la science, utilisent les médicaments adéquats, recommandent l’inscription des enfants dans des institutions qui leur conviennent le mieux et dans une école où l’on puisse adapter les apprentissages. Ils mettent l’accent sur une approche relationnelle, à partir des signes d’intérêt manifestés par l’enfant. Non pas une stimulation-répétition pour tous, mais une sollicitation sur mesure. Cette approche prend un nouveau relief dans cette actualité.
Pour les adultes, s’intéresser aux centres d’intérêts dits « restreints »
Comme le rapport de la Cour des comptes de janvier 2018 le souligne, un effort particulier est à faire envers les 600 000 autistes adultes recensés. Les maîtres-mots sont les logements individuels et l’accompagnement. La stratégie du plan consiste, par le biais des agences régionales de santé, à procéder dans un premier temps à un repérage, puis à multiplier des solutions de logement : «10 000 logements accompagnés avec des colocations sociales seront ainsi prévus ». Et surtout, est-il écrit dans le plan, il s’agit de « ne pas enfermer ». « Il faut aussi prouver aux familles qu’on peut circuler en milieu ordinaire, en organisant des parcours avec des services d’accompagnement, pour l’emploi, l’habitat et le vivre chez soi » (10).
Pour accompagner, nous prenons acte que les recommandations envers les autistes adultes sont diversifiées : « Proposer de mettre en œuvre des pratiques comportementales, psychoéducatives, et des approches neurodéveloppementales et de remédiation cognitive. Il s’agit de [...] tenir compte de ses intérêts et diversifier les activités pour mobiliser et développer ses compétences » (11). Ou encore : « Utiliser les intérêts restreints comme des compétences possibles, notamment en milieu professionnel et dans le cadre des formations universitaires ou professionnelles. Identifier les intérêts et les moyens de motiver l’adulte autiste et à partir de ceux-ci mener une réflexion en équipe pour lui proposer un projet comportant de nouvelles activités qui lui permettent de développer son sens de la curiosité et d’élargir ses centres d’intérêt » (12). C’est bien ce type d’approche chez l’enfant et le jeune adulte que nous proposons. Nous accueillons les intérêts de l’enfant, quels qu’ils soient, pour l’amener peu à peu à développer son objet, considéré non pas comme un obstacle, mais comme un appui pour ses inventions. L’orientation psychanalytique accompagne les enfants autistes sur les chemins de traverse qu’ils peuvent emprunter pour accéder aux apprentissages. Cette orientation est compatible avec une série d’approches mixtes qui souhaitent s’éloigner de techniques rigides, pour solliciter les particularités de l’enfant. Notre expérience pourra aider les équipes d’accompagnement des adultes avec autisme.
Pour les familles, la compétence et l’invention
« Enfin, le plan préconise de s’appuyer sur les familles, leur expérience, leur savoir. “Il faut reconnaître leur expertise, et les associer dans la gouvernance”. Mais aussi les “soutenir”: une “plateforme de répit” doit être créée dans chaque département, pour leur permettre de faire des pauses mais aussi d’échanger leurs expériences » (13).
Cette approche résonne avec celle de notre orientation qui toujours dialogue avec les familles et les parents un par un pour savoir mieux comment ils ont élaboré une voie d’échanges avec leur enfant. Ou encore s’inspirer de la façon dont les parents ont fait pour accompagner leur enfants vers l’école. « J’essayais du mieux possible d’intégrer les apprentissages à ses différents centres d’intérêts : les jeux vidéo, les dessins animés, ses mondes intérieurs dans lequel il se lovait en permanence pour résister au stress de la nouveauté. Comme il avait de grandes facilités pour les mathématiques, je les intégrais en toutes occasions. Théo d’ailleurs numérotait les leçons, les pages, les nouvelles choses qu’il avait apprises. Cela l’aidait à donner un sens à ce grand bouleversement dans sa vie [...]. Régulièrement, ces nouvelles connaissances provoquaient chez lui de terribles angoisses, comme s’il ne reconnaissait plus le monde dans lequel il vivait. Il retournait alors quelques
temps dans son repli autistique, dans ses balancements, dans son mutisme. Je le laissais s’y reposer tant qu’il en avait besoin. C’était un signal d’alarme pour me dire que je lui en demandais trop. Et puis, petit à petit, nous nous y remettions, comme deux convalescents sur le chemin du savoir. » (14) Théo a pu ensuite trouver son chemin vers l’école Améthyste qui accueille plusieurs jeunes autistes.
Plutôt que de parler d’expertise, qui renvoie à un savoir préétabli, sur le modèle des experts officiels, nous préférons parler d’invention, pour souligner la diversité de ce qui est produit dans les interactions entre parents et enfants, sans appui sur les savoirs établis.
De même, cette idée de répit est essentielle. Il ne s’agit pas de maintenir les parents dans un statut d’expert permanent. Les familles ont le droit d’avoir des trous d’air et des passages à vide, ou même d’être à bout. On n’exige pas le recours à l’invention tout le temps.
Les écoles spécialisées sont spécialement nécessaires lors du passage à l’âge adulte. Les difficultés de ce passage rendent d’autant plus urgent de faire naître des facilitateurs qui permettent de mettre en résonance, en écho des structures variées, comme la structure originale de l’école Améthyste que Valérie Gay-Corajoud a présentée, ainsi que la structure soin-étude qu’Yves-Claude Stavy a évoquée lors de la première journée du Centre d’études et de recherches sur l’Autisme (15) (CERA), le 17 mars dernier.
Ces différentes orientations guident nos interventions pour nous faire partenaires de l’enfant, de l’après-enfant, de l’adulte et des familles des personnes autistes.
Texte de l’intervention prononcée par Éric Laurent au Forum international sur l’Autisme « Après l’enfance. Autisme et politique », Barcelone, 7 avril 2018.
1 : Favereau É., « Autisme : cinq fronts contre un scandale français », Libération, 5 avril 2018
2 : Comme le note le neuropédiatre David Germanaud (hôpital Robert-Debré) interviewé par É. Favereau Libération, 5 avril 2018
3 : Cf. Jacob A.S. Vortsman & al., « Autism genetics : opportunities and challenges for clinical translation », Nature on line, 6 mars 2017.
4 : Cité par É. Favereau, « Autisme : cinq fronts contre un scandale français », op. cit.
5 : Grandin T., The Autistic Brain: Thinking Across The Spectrum, Houghton Mifflin Harcourt, 2013.
6 : Cf. Lucchelli J.P., Maleval J.-Cl., « Autisme : convergences et divergences. Lecture de deux modalités de prise en charge » in Question ouverte, John Libbey Eurotext, 2018, p. 42
7 : Coq-Chodorge C., « Les autistes, otages de petits intérêts et de grosses embrouilles », Mediapart, 18 septembre 2016. 8 : Cf. Cekoïa Conseil, Planète publique, « Évaluation nationale des structures expérimentales Autisme », CNSA, Rapport final, février 2015, p. 34. Pour une analyse détaillée de ce rapport, cf. Maleval J-C. Grollier M.
« L’expérimentation institutionnelle d’ABA en France : une sévère désillusion », Lacan Quotidien n° 568 et 569, 29 février & 6 mars 2016.
9 : S. Cluzel, secrétaire d’État aux personnes handicapées, interviewée par P. Santi et S. Cabut, Le Monde, 6 avril 2018. 10 : Ibid.
11 : « Trouble du spectre de l’autisme : interventions et parcours de vie de l’adulte », HAS, décembre 2017, p.30. disponible sur internet, ici
12 : Ibid
13 : É. Favereau, « Autisme : cinq fronts contre un scandale français », op. cit.
14 : Gay-Corajoud V., « Une école à sa mesure », texte présenté lors de la première journée du CERA, 17 mars 2018. 15 : Plus d’information sur le Centre d’études et de recherches sur l’Autisme.
* Extrait de lacanquotidien.fr